Rencontre avec François Jullien Vidéo

07/06/2022

De la décoïncidence à la Vraie vie

A la veille du colloque « Vivants », nous sommes heureux d’accueillir François Jullien, philosophe, helléniste et sinologue, professeur à l’Université Paris-Descartes et titulaire de la chaire sur l’altérité au Collège d’Études Mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme, dans le cadre du séminaire de Psycha31.
François Jullien  nous parle  de deux de ses concepts clés : la décoïncidence et la Vraie vie. Deux concepts qui peuvent croiser ceux de la psychanalyse. Il évoque  également de l’association qu’il a créée Dé-coïncidences à la suite de la publication de son Manifeste, pour ouvrir de nouvelles pistes de pensée et d’action au sein de la vie collective et du politique .

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Le manifeste de l’association : 

Dé-COïNCIDENCES pour rouvrir des possibles

Association Loi 1901

Pour ouvrir, au travers des pratiques les plus diverses, de nouvelles lignes de travail et d’engagement.

Pour une participation active – d’exigence philosophique – à la vie publique.

Pour promouvoir une nouvelle initiative en politique.

 

ROUVRIR DES POSSIBLES

Peut-on encore projeter de grands plans sur le futur et s’y fier ?

Cela se heurte désormais au moins à deux difficultés. D’une part, le monde « mondialisé » est devenu trop complexe, le jeu de trop d’interdépendances, pour qu’une modélisation – autre que technique – y soit assurée. D’autre part, on n’y voit plus d’attente qui soit constructive d’avenir. Si l’on ne peut plus rêver de « lendemains qui chantent », c’est que ces lendemains ne nous parlent plus. Le thème des jours meilleurs ne prend plus.

Or, en même temps, dire « non » face à la situation qui menace, la dénoncer, ne s’entend plus, ne suffit plus. À défaut de pouvoir projeter dans l’au-delà, il faudrait donc intervenir en amont. Il faudrait pouvoir défaire les représentations installées dont on constate qu’elles bloquent l’action politique et la société. Il faudrait décoincer ce qui entrave, plutôt que d’annoncer sans cesse la Rupture et l’ « innovation ». Il faudrait se décaler de ces lieux communs imposés qui paralysent. Il faudrait, autrement dit, en « dé-coïncider ».

On croirait pourtant que, quand tout « coïncide », entre en adéquation, s’avère adapté, c’est parfait : ça « colle ». Or cette coïncidence est la mort : ce qui coïncide, se confortant dans sa coïncidence, s’endort dans sa positivité et ne produit plus que du conformisme. Les possibles en sont bloqués. Une idée, en de- venant coïncidente, devient idéologique ; elle sécrète la bonne conscience et n’est plus pensée.

Même les meilleures causes n’y échappent pas. À preuve la « co-construction », la « résilience », le « Care », la « bienveil- lance », les thèmes écologiques… Dès lors que ces termes se muent en obédience, une langue de bois se soude, véhiculée par les média, qui fait de ces thèmes engagés des thèmes enlisés. Ils échappent par là même au travail de réflexion et de conviction : ils sont devenus faussement consensuels et ne prêtent plus qu’à l’assentiment passif, si ce n’est à la manipulation.

Or, dé-coïncider, en défaisant la coïncidence installée, ne promet pas d’ « avenir qui fait rêver ». Mais s’ouvrent de nouveaux possibles. Cela se vérifie dans les pratiques les plus diverses. Un artiste n’est artiste qu’autant qu’il dé-coïncide de l’art déjà fait et reconnu comme art. Un penseur ne pense qu’autant qu’il dé-coïn- cide du déjà pensé. Vivre est dé-coïncider du déjà vécu. Il faut aus- si dé-coïncider de soi pour rencontrer l’Autre. Or ne peut-on pas- ser par là de l’éthique au politique ? Si nous souffrons aujourd’hui d’une rétraction des possibles qui s’opère à notre insu, c’est d’abord que nous sommes enfermés dans tant de coïncidences idéologiques que nous n’interrogeons pas. Et même tant de « dé- bats » où s’affrontent des opinions opposées ne baignent-ils pas dans une coïncidence implicite qu’on ne sait pas soupçonner ?

Depuis les Grecs, nous avons pensé le politique en termes de Cité idéale et de réalisation, de modélisation et d’applica- tion, ou de théorie et de pratique. On trace le plan de la Cité, puis on engage une Révolution pour l’accomplir. On demandera donc : quelle sera la praxis de la Dé-coïncidence ? Or justement la dé-coïncidence permet de ne plus avoir à penser en termes de « théorie » et de « pratique », ou de modèle et de réel. Par conséquent aussi de ne plus avoir à penser la politique en termes de Rupture proclamée, d’Action spectaculaire ou de Grand soir attendu.

Dé-coïncider nous met en effet directement à l’œuvre, nous situe d’emblée dans l’effectif. Il s’agit d’initiatives sans com- mandement, locales, plurielles « de terrain », d’abord diverses et discrètes, mais qui font leur chemin. Chacun, là où il est, peut en engager. Dès lors que j’ouvre un écart vis-à-vis de thèmes et de comportements si bien scellés, commence de les fissurer, je me mets du même coup à dé-coïncider. Donc à rouvrir des possibles. Dès que je ne reproduis plus la langue imposée des « textos » ou du global english… Certes, ce ne sont là que « fissures » dans la carapace qu’organisent la dictature du marché mondial, les lois de la mise en réseau et l’anonyme – inhumaine – technicité.

Mais ces fissures peuvent se relier et se faire écho : elles peuvent s’associer et se soutenir, rouvrir un commun partagé.

Souvenons-nous de Soljenitsyne : « C’est quand même avec des fissures que commencent à s’effondrer des cavernes. »

François Jullien

En cohérence avec le travail engagé par Francois Jullien, l’Association Dé-coïncidences s’est créée, en octobre 2020, pour ébranler les coïncidences idéologiques qui bloquent les pratiques, la vie sociale et politique.

L’Association ne vise pas à propager une opinion, à forger des slo- gans – la décoïncidence en étant le contraire – mais à proposer de nouveaux concepts au débat.

Son mode de travail est d’interroger, dans les champs concernés, les formes d’adéquation et d’adaptation figées pour s’en écarter – non seulement les critiquer – et remettre ces domaines en chantier.

L’Association vise par conséquent, à l’échelle nationale, à relancer la vie démocratique en défaisant les stéréotypes idéologiques qui font cou- vercle, les formules démagogiques bloquant les antagonismes, les fixations identitaires ainsi que l’enfermement publicitaire du politique.

L’Association vise également à re-mobiliser les ressources de l’Europe en repensant à nouveaux frais les idéaux qui l’ont portée. Car il y a à promou- voir la « seconde vie » d’une Europe désimpérialisée face aux nouveaux Em- pires.

L’Association compte aujourd’hui des artistes, des psychologues et psychanalystes, des managers et des consultants, des médiateurs, des archi- tectes et paysagistes, des économistes, des scientifiques et des philosophes. Elle souhaite s’ouvrir au milieu syndical et politique.

L’Association a mis en place des rencontres, séminaires et colloques, et ouvert de premiers ateliers.

Bureau

Président : François L’Yvonnet ; trésorière : Sybille Persson ; secrétaire : Pascal David Coordinatrice : Linda Branco
Mail : association.decoincidences@gmail.com
Site : www.association.decoincidences.fr

Adhésion : 20€ ; soutien : 50€ ; moindres revenus : 10€
Envoyer les chèques à l’ordre de « Association Décoïncidences » à l’adresse : 23, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris
Ou par virement :
IBAN : FR 76 10278060450002147870115
BIC : CMCI FR 2A

Retrouvez le programme complet de l’association  : https://association.decoincidences.fr

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