Quelques réflexions à partir du massacre d’innocents

06/02/2015

          Quelques réflexions à partir du massacre d’innocents

   Les attentats du 13 novembre 2015 ont été perpétrés par des tueurs au service d’une idéologie religieuse totalitaire contre des innocents. La liberté de mouvements de ces assassins fait la preuve de lourdes négligences dans le système de protection de notre peuple, et donc de l’évaluation des menaces que lui font courir la politique intérieure et extérieure de son gouvernement. 

   A l’intérieur, depuis des dizaines d’années, la droite comme la gauche ont laissé les banlieues devenir des zones de non droit, faute d’avoir eu la moindre ambition par rapport aux populations immigrées et leurs cultures d’origine, faute aussi de ne pas avoir procédé à l’inventaire de l’héritage colonial dont cette immigration est le fruit. Le pourrissement économique et social entraîné par cette situation de relégation a conduit certains jeunes à s’engager dans des aventures sans issues autres que la violence, liée au trafic de drogues ou à la lutte armée. 

   A l’extérieur, l’engagement militaire français contre Daech, et il n’est pas ici nécessaire d’être pour ou contre, fait courir à notre peuple le risque évident de représailles. 

   Daech, ce totalitarisme naissant se réclame de l’islam, il masque ses exactions avec une couverture idéologique  fournie par les régimes  religieux du Moyen Orient, qui sont par ailleurs les alliés de la coalition militaire occidentale. Cela crée une situation ubuesque, si elle n’était pas aussi tragique, non seulement pour nous Européens, mais depuis des années pour les peuples arabes : nous bombardons et luttons contre des gens qui sont le produit d’une conception religieuse du monde véhiculée et financée par des puissances que nous traitons en amies, alors même qu’elles ne cachent pas leur haine de la démocratie. Il y a aussi en nous le risque de s’opposer à nos ennemis en les imitant, par la restriction des libertés publiques, par les tentations du rejet, voire de « l’extermination » pour reprendre un mot de sinistre mémoire, utilisé par un ancien Président de la République dans une déclaration à la suite de la tuerie récente.

   Naguère le colonialisme français et anglais a causé des dégâts dont les effets transmis de génération en génération sont loin encore d’être épuisés. Mais depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les Occidentaux sont intervenus sans ménagement dans les affaires intérieures des pays arabes. Une fois passée la période des luttes de libération d’après la Seconde Guerre mondiale, il a été de l’intérêt économique et politique des Occidentaux, et de leurs alliés locaux dans les pays de cette partie du monde, d’entretenir  une situation de « ni paix ni guerre », fort dommageable pour le développement de ces régions, en encourageant des coups d’état et des régimes corrompus, en attisant les rivalités religieuses, en entretenant  le différent entre Israël et le monde arabe, au lieu de travailler à le réduire. C’est ainsi que le non règlement du conflit israélo-palestinien, depuis la guerre des Six jours en 1967, est devenu la matrice de tous les désordres.    

   En France, la politique coloniale des deux siècles précédents n’a jamais vraiment été évaluée dans ses conséquences psychiques et culturelles à long terme sur la société et sa mémoire. Le racisme et l’exclusion de l’autre par sa couleur ou sa religion continuent de travailler à bas bruit le corps social, au point qu’il est devenu envisageable qu’un parti d’extrême-droite dont le socle idéologique est la haine de l’autre, qu’il soit juif hier ou arabe aujourd’hui, prenne le pouvoir à une élection présidentielle prochaine. L’islam, deuxième religion de ce pays, est ignoré ou caricaturé, et ses catégories religieuses et philosophiques sont méconnues et exclues du débat intellectuel, à de très rares exceptions. Avec tant d’aveuglement ou de cynisme chez ceux qui nous gouvernent, que pouvons attendre de l’avenir sinon la répétition de tels massacres. L’inertie fait le jeu de la pulsion de mort, nous sommes payés pour le savoir.        

   Certes, il est plus facile de faire la guerre que de faire la paix, mais allons-nous nous y résoudre ? Ou bien plutôt trouver le courage d’identifier vraiment les racines de la haine et de la guerre et de remédier aux catastrophes en cours, comme nous tentons de le faire pour lutter contre le réchauffement climatique ? Comment peut-on vivre les valeurs de la République si nous nous contentons de prendre les chemins de la guerre, sans mettre en œuvre une politique ambitieuse visant à réconcilier la nation avec elle-même ?  

Jean-Michel Hirt, membre titulaire de l’Association Psychanalytique de France.

      

Retour à la liste