Note de lecture

18/01/2015

La position dépressive au service de la vie – James Gammill

 

Editions In Press – 2007

Le concept de « position dépressive » central dans le développement psychique de l’enfant et dans la théorie de Melanie Klein, a été introduit par elle en 1934 dans son article « Contribution à l’étude de la psychogénèse des états maniaco dépressifs ». James Gammill, fidèle kleinien, reprend et prolonge ce concept dans toutes ses éditions successives au décours de la vie jusqu’à l’approche de la mort profondément influencée pour lui par les différentes éditions vécues et la qualité des transformations des objets internes qui en ont découlées. Il y ajoute sa conception d’une « dépression primaire » normale et non pathologique comme le concevait Winnicott, qui serait antérieure et préparatoire de la position schizo-paranoïde. Ce travail très riche fait lien entre la dépression et les phénomènes actuels de violences, de l’emprise des sectes jusqu’au courageux abord du problème de séduction de l’enfant par l’adulte où règne la confusion sauvetage-destruction. Phénomènes de violence où la haine prédomine et dans lesquels l’élaboration de la position dépressive peut ouvrir à une transformation sur un autre registre, de l’esthétique à l’enthousiasme et à l’amour. Ses réflexions se portent aussi sur les problèmes de l’adolescence, moment de résurgence de cette position dépressive avec le deuil de l’enfance à effectuer, dans un remaniement des identifications sur un mode de « chaos » qui dure pour lui deux à trois ans après la puberté, dans l’articulation des ambivalences amour-haine et dépendance-indépendance, en redonnant place au narcissisme positif dans la lignée de Melanie Klein et de Rosenfeld. Adolescence dont la tâche centrale est l’acquisition du sentiment de sa propre identité. 

Lacan avait reconnu chez Melanie Klein, dans son travail chez l’enfant à la limite de l’apparition du langage, dans ce qu’elle a osé projeter de l’expérience subjective dans cette période antérieure, la primordialité de la position dépressive. Toute la théorie qu’elle a développée sous l’angle de la relation objectale, repousse pour lui les limites où l’on peut voir jouer la fonction subjective de l’identification. Cette position dépressive, l’être humain n’a jamais fini d’en découdre avec elle. Chaque nouvelle crise de la vie en réactuallise une nouvelle édition, il faut alors choisir entre régresser pour fuir la douleur dépressive vers un mode de fonctionnement paranoïde-schizoïde, ou élaborer cette douleur dépressive pour permettre au développement psychique de s’accomplir. Les élaborations successives de la position dépressive font partie pour James Gammill, des étapes du développement psychique de l’individu et la défense maniaque, souligne-t-il « est, je crois, la défense la plus utilisée contre la souffrance psychique qui accompagne la position dépressive. » Défense maniaque qui contient toujours une composante sexuelle importante rappelle-t-il. Pour Melanie Klein, cet état psychique, la position dépressive, n’est jamais totalement élaborée, ce qui aboutirait à quelque chose comme une parfaite maturité. Ce sont pour elle  le degré d’élaboration de la dépression et le degré d’intégration des bons objets internes qui déterminent la maturité et l’équilibre d’un individu. Ces notions de positions, considérées comme des états momentanés d’organisation du moi subissant des fluctuations incessantes, sont différentes d’une organisation qui s’installerait de manière chronologique dans le développement infantile. La position dépressive permet l’élaboration des fantasmes, l’atténuation du sadisme, allant de pair avec l’intégration de la bisexualité. L’apport particulier de Melanie Klein a été sa découverte de l’existence et de l’importance de fantames concernant les premières relations d’objets archaïques. Elle soulignait l’importance cruciale de l’élaboration et de la transformation des fantasmes pour l’équilibre et l’enrichissement de la personnalité.    

 James Gammill introduit dans cet ouvrage la notion de « doute dépressif », qui se situe entre la position schizo-paranoïde et la position dépressive. Doute qui peut se muer par la suite en doute obsessionnel, en sur-utilisation des défenses obsessionnelles plus ou moins accompagnées de mécanismes schizoïdes. L’interprétation dans ce cas doit opérer dans le sens d’un espoir en un objet bon et secourable mêlé de crainte d’un objet mauvais et dangereux. 

Il introduit aussi une nouvelle notion majeure, celle de « contre vérité psychique ». James Gammill nomme ainsi un ensemble défensif dirigé contre la vérité psychique « lorsqu’il y a crainte, essentiellement inconsciente, que la reconnaissance de celle-ci n’entraîne une souffrance psychique trop importante pour être supportée ». Mécanisme responsable de certains échecs thérapeutiques du côté du patient ou du côté de l’analyste, créant une contre écoute, un non recevoir du discours du patient, une mé-compréhension, misunderstanding, du matériel psychique du fait d’une angoisse totalement inconsciente chez le thérapeute. Ce système de défense dont il constate l’installation très précoce, présente une autre composante, il permet aussi un plaisir « hautement sexualisé dans la partie perverse de la personnalité », dans la partie psychotique clivée qui peut créer ses « vérités » dans les idées délirantes. Ce système de contre vérité psychique peut être entretenu dans la personnalité d’un individu ; la rencontre d’un partenaire complice actualise la problématique, l’identification projective réciproque va permettre l’entretien du système. Ce système peut aussi être entretenu dans un groupe, ce que l’on peut retrouver dans les groupes pathologiques de délinquants, de drogués, créant un amalgame confus des différentes parties psychotiques des personnalités, incapables d’une véritable différenciation conscient-inconscient. La suprématie de la contre-vérité psychique donne l’illusion d’avoir raison dans une pseudo-clarté et permet de fuir le vécu de dépression, de persécution ou de confusion.  Pour les kleiniens, la représentation symbolique s’acquiert avec l’élaboration de la position dépressive dans une multidimensionnalité à l’œuvre dans le travail psychique au cours de cette position, que l’on peut rapprocher de l’épreuve de réalité chez Freud acquise au décours du travail de deuil, y ajoutant une dimension importante et fondamentale. Pour James Gammill, l’élaboration de la position dépressive s’accompagne d’un re-vécu de la dépression primaire et sa résolution. Comme l’a montré Melanie Klein, un travail réussi de deuil permet une identification introjective sélective aux bons aspects de l’objet perdu, une diminution de la culpabilité et une « reconstruction d’un monde intérieur » plus riche et plus créatif. Même si le sujet s’origine d’une structure de fiction, comme l’a découvert Lacan et que Freud et Melanie Klein n’ont pas vu dans leur souci de vérité, il s’y développe psychiquement. La translaboration de la position dépressive doit continuer tout au long de l’enfance et de l’âge adulte. L’adaptation croissante à la réalité est liée à des « transformations », terme privilégié chez Melanie Klein, transformations dans le fonctionnement de l’introjection et de la projection, qui permettent d’aboutir à une relation plus confiante avec le monde externe et le monde interne, avec la vie.

                                                                                                              Monique Lauret

                                                                                                                  6/02/08.

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