Note de lecture : INFLUENCES DES APPORTS DE LA PSYCHANALYSE ANGLAISE, APRES KLEIN, BION, WINNICOTT, BALINT….

08/01/2021

Note de lecture :  INFLUENCES DES APPORTS DE LA PSYCHANALYSE ANGLAISE, APRES KLEIN, BION, WINNICOTT, BALINT….

Le Coq-Héron, 235, 2018.

La psychanalyse anglaise a beaucoup apporté à la psychanalyse. Plusieurs éminents psychanalystes comme Klein, Bion, Winnicott, Balint ont œuvré et apporté des contributions théoriques majeures dans une inventivité et une créativité qui nourrit encore aujourd’hui la psychanalyse et sa pratique de manière vivante. Consacrer un numéro à leur rendre hommage est ce que le Coq-Héron propose dans cette nouvelle publication qui regroupe les travaux de deux journées scientifiques qui se sont tenues le 16 janvier 2016 : « L’école anglaise de psychanalyse au pays de Lacan » et celle du 17 novembre 2016 centrée sur le texte de Winnicott de 1960 sur « le contre-transfert ». 

La diffusion française des ces apports a été plus tardive que dans d’autres pays européens ou d’Amérique latine. L’Histoire de la psychanalyse anglaise est passionnante à plusieurs niveaux, dit en préambule Mireille Fognini qui rend aussi un vibrant hommage à James Gammill, psychanalyste kleinien qui a beaucoup œuvré en France et notamment à Toulouse où je l’ai rencontré. L’Angleterre a été terre d’accueil de nombreux psychanalystes européens fuyant les exactions nazies, des freudiens dits « Viennois » orthodoxes qui s’opposeront, dans une défense théorique identitaire à leurs collègues anglais kleiniens, lors des futures « Grandes Controverses », une guerre ouverte entre psychanalystes. Mireille Fognini en pose les grands repères historiques, démontrant la particularité britannique de l’époque en manière de résolution des conflits en psychanalyse, une élégante souplesse faite d’intelligence et de tolérance permettant d’aboutir à une sorte de « gentlemen’s agreement ». Un Fair-play anglais qui pourrait servir d’exemple à de nombreux psychanalystes français dans leur radicale spécificité de scissions, ces caricatures de clivages individuels et groupaux accentuant les positions dogmatiques et idéologiques, voire politiques. Ce compromis ne s’est obtenu que de la réunion de désirs de conciliations qui passaient par de nombreuses rencontres théorico-cliniques pour penser les conflits passionnels qui les opposaient, autour des découvertes sur la psyché humaine dans les bases précoces du développement. Trois groupes d’orientation théorique différente vont pouvoir coexister au sein de la Société Britannique de Psychanalyse juste après la mort de Freud : le groupe « viennois » d’Anna Freud, le groupe kleinien et le Middle group qui sera rebaptisé après la mort de Melanie Klein « Les indépendants », par Paula Heimann en 1962.  C’est une « véritable et rare étape de tolérance et de croissance psychique groupales »écrit Mireille Fognini. L’Angleterre, dernier refuge de Freud et dernier abri pour la postérité de ses œuvres a réussi à constituer un lieu, un contenant de pensée, capable de maintenir en cohésion les pensées divergentes de façon à poursuivre l’œuvre engagée et stimuler les avancées théoriques, symbole pour Mireille Fognini d’un « important génie du siècle contre la barbarie nazie. ».

Ce dossier comporte quatre chapitres distincts : 

  • La psychanalyse de l’École anglaise fait-elle encore controverse dans la France d’aujourd’hui ?

Marie-José Durieux introduit ce dossier à la lumière des concepts de Wilfred Bion et de leur extension dans la pratique de la cure aujourd’hui, étendue à de nombreux pays sur de nombreux continents. Le structuralisme avec l’apport de Saussure, Lévi-Strauss et Lacan ont plutôt marqué une France cartésienne. La « France d’après Lacan », dit-elle et je suis tout à fait en accord, commence à s’intéresser aux « oscillations » entre les positions kleiniennes « schizo-paranoïdes » et « dépressives », à l’usage du « contre-transfert » et de ses effets dans la séance et s’interroge sur l’existence de parties psychotiques et non psychotiques de la personnalité avancées par Bion. Il y a des zones non représentationnelles de la vie psychique. C’est une conception de la vie psychique que reprend Simone Korf-Sausse dans son article sur Bion. Le non-verbal, l’intersubjectivité, le contre-transfert sont des dimensions relationnelles importantes à prendre en compte et qui peuvent apporter de l’aide dans les prises en charge de cas difficiles. Paula Heimann instaurait le contre-transfert comme outil principal du psychanalyste, dans la réponse émotionnelle à son analysant à l’intérieur de la situation analytique. M.J. Durieux déplie ensuite les trois combats de Melanie Klein, en tant que femme, psychanalyste et freudienne, pour hausser la psychanalyse d’enfants au niveau de celle des adultes dans un accueil hostile d’une partie de la communauté analytique. Melanie Klein a fixé trois objectifs à la psychanalyse d’enfants : lutter contre l’inhibition intellectuelle qu’elle nommait « inintelligence », lutter contre la criminalité meurtrière et éviter la psychose. C’est en travaillant avec le sadisme archaïque que l’on fait jaillir l’intelligence. Winnicott devait à Melanie Klein son accès à une vision profonde du monde intérieur, Francis Drossart montre combien sa pensée se situe dans la continuité de Melanie Klein, dans la création de concepts comme le jeu de la spatule pour aborder le bébé, le squiggle pour aborder l’adolescent et son apport majeur du « faux self ». Il divergera de Melanie Klein sur la question de la pulsion de mort. Fleur-Breil et Catherine Pagès vont jouer avec l’idée du bébé « trans-théorique », pour montrer comment l’approche des tout-petits est complexe et nécessite d’avoir recours à plusieurs théories différentes. De précieux éclairages sur l’appréhension singulière et angoissante de l’espace dans les pathologies autistiques sont apportés par le travail de Chantal Lheureux-Davidse. Une très intéressante contribution de Géraldine Leroy sur John Steiner, psychanalyste britannique contemporain, nous introduit à sa notion de « retrait psychique », inspirée des travaux de H. Rosenfeld sur le narcissisme. C’est une organisation pathologique défensive de la personnalité face aux angoisses persécutives de la position schizo-paranoïde et aux angoisses de la position dépressive. Cette défense agit comme contenant donnant l’illusion d’un bon objet protecteur. Le patient se trouve figé dans cette position défensive, tout mouvement risquant de l’entrainer vers la confusion ou l’exposer à l’angoisse. Aider le patient à accéder à sa part de vulnérabilité peut l’aider à sortir de cette forteresse défensive. Plusieurs types de retraits ou repli psychique existent, les unes défensives comme l’a montré Steinert, les autres synonymes de repos et de récupération, porteurs d’un potentiel de création, à rapprocher peut-être du narcissisme négatif d’André Green.

  • Le contre-transfert chez Winnicott en ses impacts psychanalytiques actuels

    Une chute qui donne à penser pour Jean-François Chiantaretto, dans la question qui avait bien été posée par Winnicott, celle d’un contre-transfert réductible ou non au parasitage de l’inanalysé de l’analyste dans son accueil du transfert. Cette rencontre de l’analyste avec son inanalysé est imposée par les patients limites, rappelle J. F. Chiantareto. Cette notion de contre-transfert, récusée par certains psychanalystes et à l’origine de nombreux conflits n’est pas à récuser comme l’a souligné Patrick Guyomard mais plutôt de « prendre la mesure de l’insuffisance de la notion » pour rendre compte du désir de l’analyste théorisé par Lacan. D’autres auteurs vont commenter, critiquer ce texte de Winnicott et donner quelques exemples de clinique, Catherine Chabert, Aline Cohen de Lara, Vincent Cornalba, Philippe Givre, Florian Houssier, Catherine Matha et Jean-Pierre Pinel, éclairant certains aspects psychodynamiques utilisables dans le transfert chez les patients proches de la psychose. Le psychotique souffre lui aussi de réminiscence dit Vladimir Marinov. La « bonne distance » entre l’analyste est l’analysant comme disait Winnicott est « symbolique ». La position de neutralité ne peut plus être tenue avec un patient qui régresse dans une position de lourde dépendance infantile. Le patient à la limite de la psychose « impose une relation directe, de nature primitive, qui va jusqu’à la fusion ». Le psychanalyste doit savoir y faire, au plus près du contact avec la vie psychique, il doit porter et supporter certains affects intenses comme sa peur et sa haine, rappelle Florian Houssier, qui met en évidence un point d’alliance entre D.W. Winnicott, pris entre deux femmes et Anna Freud. Une ligne de tension entre les pensées de ces deux femmes offre pour F. Houssier deux conceptions de la psychanalyse de l’enfant : « centrée sur le monde interne de l’enfant pour Klein, ou tendant à réparer les torts infligés à l’enfant durant le processus éducatif selon A. Freud ».

  • L’invention de Michel Balint : une écoute psychanalytique partageable pour la relation thérapeutique médicale

Balint, le « continuateur de l’œuvre de Ferenczi », comme l’écrit André Haynal, inscrit dans le groupe des « Indépendants » avec Winnicott et John Rickman, a permis d’apaiser les conflits des Controverses et d’ouvrir et d’élargir le champ de la psychanalyse au domaine médical. Ces conflits ont été centrés en partie autour de la conception de l’environnement de l’enfant, Winnicott fera de l’environnement un concept à part entière (J. Abram). Mustapha Meslem, dans son article « Psychanalyse et médecine, ou la « Méthode Balint » », présente l’originalité de la création des « Groupes Balint », au préalable nommés « Groupes de recherches de formation » par M. Balint qui a réussi à importer et poursuivre en Angleterre l’école de Budapest. Ces groupes sont aujourd’hui intégrés dans la formation permanente des médecins et ont donné lieu à la fondation de la Société Balint, implantée dans de nombreux pays. 

  • Petit aperçu d’une postérité postkleinienne féconde avec Donald Meltzer, James Gammill, John Steinert

Donald Meltzer, l’ancien analysant de Melanie Klein, a été avec sensibilité, inventivité et humanité, un grand passeur de l’école kleinienne rappelle M.J. Durieux. Il a participé en France, dès les années 1970, aux séminaires organisés par les psychanalystes fondateurs du GERPEN, fondé en 1983. À partir du fameux cas Richard suivi et décrit par Melanie Klein en pleine guerre à Londres, Meltzer a pointé le but visé dans cette cure : que soit, non pas surmontée, mais simplement atteinte la position dépressive, comme une quête à atteindre pour le développement psychique. Car, l’atteindre c’est accéder au plus haut développement de la profondeur de la pensée humaine. 

James Gammill, membre fondateur du GERPEN et dont je transmets la pensée jusqu’en Chine, est décédé à Paris le 16 décembre 2017. Américain d’origine il a grandi aux États-Unis, a été navigateur dans l’armée de l’air pendant la Seconde Guerre Mondiale et a participé à la libération de Paris. C’était un homme lumineux, droit qui n’a cédé en rien sur son désir ni son éthique lorsqu’il a décidé de quitter son pays, en profond désaccord avec l’entrée en guerre des États-Unis au Viet-Nam, Mireille Fognini nous le rappelle. Une belle journée d’hommage lui a été rendue à Toulouse le 22 juin 2019 par le GTSPP. Il est devenu psychanalyste membre titulaire formateur à la SPP dès 1974, honoraire en 1997, enseignera pendant dix ans à Toulon et se déplacera, arpentant sans relâche la France entre Aix, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Caen, Brest, Bruxelles, Paris… pour transmettre l’œuvre kleinienne, dans un souci constant « de permettre au plus grand nombre, d’accéder à une authenticité de pensée et de vécu émotionnels ». Le cadeau que m’a fait une de ses plus proches amies, Rajah Sharara, quelques mois après la mort de James Gammill, lorsqu’elle a découvert nos échanges, un de ses objets, un tableau qu’il avait gardé auprès de lui jusqu’à sa mort, témoigne de l’authenticité et de la profondeur des sentiments humains dont font preuve les analystes kleiniens de cette école anglaise de psychanalyse, dont Jammes Gammill a été un des plus éminents ambassadeurs.

                                                                                          Monique Lauret.

                      

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