LECTURE LACANIENNE DES PSYCHOSES

06/06/2021
  1. Introduction à la lecture lacanienne de la psychose

Lacan est le seul théoricien à avoir proposé une théorie cohérente et logique de la psychose et de son déclenchement à partir d’une cause primordiale de fixation du sujet dans une structure psychique marquée par la forclusion du Nom du Père. La psychose fait preuve dit Lacan, il lui donne une place essentielle, voire fondatrice de l’expérience analytique.

Le thème du complexe d’Œdipe préserve la notion de structure signifiante, si essentielle pour se retrouver dans les névroses. Dans les psychoses, il s’agit d’autre chose, il s’agit de la rencontre du sujet avec le signifiant comme tel, rencontre qui va marquer l’entrée dans la psychose avec le cataclysme imaginaire qui s’en suit où la relation à l’autre imaginaire devient mortelle pour le sujet avec un déploiement séparé et une mise en jeu de tout l’appareil signifiant (dissociation, morcellement, mobilisation du signifiant en tant que parole, jaculatoire, insignifiante ou trop) et la déconstruction du discours intérieur qui marque toute la structure de la psychose. La question du père a centré toute la recherche de Freud, ouvrant toutes les perspectives qu’il a introduites dans l’expérience subjective. En 1924, Freud écrit deux textes fondamentaux quant à l’élaboration de critères de différenciation des névroses et des psychoses. Dans Névrose et psychose, Freud élabore une formule simple, selon son expression pour différencier névrose et psychose : « La névrose serait le résultat d’un conflit entre le moi et son ça, la psychose, elle, l’issue analogue d’un trouble équivalent dans la relation entre le moi et le monde extérieur. » , un rapport à la réalité profondément remaniée chez le psychotique, qui résulte des rapports particuliers du sujet au signifiant pour Lacan. Le juste positionnement du sujet humain dans la réalité dépend d’une expérience purement symbolique. Dans le deuxième texte, «  La perte de la réalité dans la névrose et la psychose », Freud reprend la formule «  J’ai récemment défini l’un des traits qui différencie la névrose de la psychose : dans la première, le moi en situation d’allégeance par rapport à la réalité, réprime un fragment du ça (vie pulsionnelle), tandis que le moi, dans la psychose, se met au service du ça en se retirant d’un fragment de la réalité. ». 

La forclusion du Nom-du-père, Verwerfung

La cause primordiale de la fixation d’un sujet dans une structure psychotique est pour Lacan, la « forclusion du Nom-du-Père » (Verwerfung) à la place de l’Autre, saisie dans l’après-coup. Lacan nomme ainsi cette disposition dans laquelle la fonction paternelle est déréglée pour le sujet de structure psychotique, influençant son organisation, sa fonction singulière de réagir au désir de l’Autre et sa position dans le transfert. La fonction paternelle doit son efficace à ce qu’elle arrache le sujet de sa position de phallus imaginaire, celui qui peut combler la mère mais mortifère pour le sujet dès qu’elle se réalise, c’est la jouissance incestueuse. Ce déplacement psychique ce que Lacan nomme la métaphore paternelle, elle opère comme signifiant libérant  le sujet de cette position, de façon à ce qu’il puisse accéder à une jouissance phallique, puis une jouissance Autre, des modalités de jouissance plus tempérées. Pour que la psychose se déclenche dit Lacan dans les Ecrits : « Il faut que le Nom-du-Père, verworfen, forclos, c’est à dire jamais venu à la place de l’Autre, y soit appelé en opposition symbolique par rapport au sujet. ».  Délires et suppléances tentent de palier cette défaillance, mais quand cela ne suffit plus, s’amorce alors un remaniement en cascade du signifiant accompagnant le désastre croissant de  l’imaginaire jusqu’à la dislocation psychique du sujet. Chez le psychotique, le moment où de l’autre vient l’appel d’un signifiant qui ne peut être reçu, le mot révélateur ou déclencheur, va ouvrir une dimension nouvelle avec une certitude de compréhension, une adhésion au délire d’un côté et la rengaine, le refrain d’un autre côté.  Le tu, non loin du surmoi,  va occuper chez lui le poste d’un observateur qui entend tout, un tu qui parle tout seul qui commente, le tu délirant apparaissant comme un corps étranger, comme dans l’expérience de Schreber. Quand le sentiment d’étrangeté porte quelque part dit Lacan, ce n’est jamais du côté du surmoi. C’est toujours le moi qui ne se retrouve plus et qui entre à l’état de tu, un moi qui se croit à l’état de double, expulsé de sa maison tandis que le tu reste possesseur des lieux. Le psychisme se déplie alors dans l’accompagnement de ce désastre et l’entrée dans le délire s’annonce souvent dans la production onirique, par une soumission complète à un Autre féroce. L’apport nouveau de Lacan dans la lecture du rêve concerne l’incidence du désir de l’Autre. Le rêve est l’envers de la psychose propose P. Landman, ce qui va dans le sens de ma pensée, et de celle de Bion, du rêve qui « sépare », la différentiation de l’inconscient du conscient et du maintien de celle-ci. Le rêve comme « envers du délire » dans un travail dont la fonction dans l’hypothèse que je pose, est de symboliser et de subjectiver la pulsion de mort. Le transfert avec un psychotique se réduit à une relation d’objet sauf quand il rêve et qu’il le raconte, c’est un temps de subjectivation dans une position peut-être déjà hors psychose mais qu’il ne peut tenir, il en revient donc à l’écrire. Le psychotique est aspiré vers le cœur du phénomène délirant, son ombilic, terme que Freud a utilisé pour désigner ce point du rêve où le sens semble s’achever dans un trou, un nœud. Il y a menace d’écrasement psychique par la jouissance de l’Autre, dans une jouissance incestueuse, quand l’inconscient n’en a pas suffisamment démêlé avec les problématiques de l’identification première prégénitale, cette quête sur la scène du réel, du premier Autre de la demande primaire, Autre entendu comme lieu dans lequel le sujet va venir puiser les signifiants pour se construire. C’est aussi une fonction qui va se transférer et se déplacer sur d’autres ou instances, le père, le lieu social… Le nœud borroméen qui nous les trois instances réel, imaginaire, symbolique a été théorisé par Lacan dans les années 70. Ce nœud borroméen est le support de tout sujet. Le champ du symbolique, du langage, est celui dans lequel s’insère toute compréhension. L’imaginaire concerne la relation au corps, l’image spéculaire fascinante, forme captivante qui guide tout le comportement animal, relève avec humour Lacan. « La relation au corps propre caractérise chez l’homme le champ en fin de compte réduit, mais vraiment irréductible, de l’imaginaire. ».  Un rapport, toujours à la limite du symbolique, que seule l’expérience analytique permet de saisir dans ses derniers ressorts. Le réel concerne le non représentable, le non encore symbolisé. « Il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation. ». Le réel n’attend pas puisqu’il n’attend rien de la parole ; il est là, « bruit où l’on peut tout entendre », prêt à submerger de ses éclats ce que le « principe de réalité » construit comme monde extérieur.

Je vais illustrer avec deux rêves d’une jeune patiente de 17 ans pour qui un diagnostic de schizophrénie semble se poser. Elle a arrêté l’école du fait d’angoisses et d’une dépression trop intense, elle présente une insomnie décalant son rythme diurne, il n’y a pas eu de délire. Elle est fille unique de deux parents soignants. Elle arrive en consultation menue, précieuse, très pale et fragile comme une poupée de porcelaine. Dans le premier rêve qu’elle me raconte : « Elle se perd vers le centre d’un labyrinthe dans le brouillard, dans la deuxième scène elle entend un cri de chouette terrifiant, un miroir se brise et la tue ». Elle me dit « Pourquoi je ne cherche pas la sortie ? », je lui réponds « C’est une très bonne question ». Le miroir tue le psychotique dit mon confrère Gérard Pommier. Le lent travail effectué avec cette patiente, le temps d’affronter ses angoisses archaïques les plus terrifiantes, lui permet de commencer à prendre vie, à se subjectiver et à désirer devenir bibliothécaire. Dans un dernier rêve « Elle vient d’affronter une traversée difficile sur un pont au-dessus d’un magma de lave en fusion. Elle a glissé, failli tomber mais s’est hissée et relevée seule. Elle se retrouve de l’autre côté, dans un champ au soleil et court. Elle porte une robe bleue sur laquelle des papillons s’animent et prennent vie. ». Le travail psychique effectué avec cette jeune fille lui a permis de symboliser le réel, ce qui était non encore symbolisé, de redonner vie à ce qui était gelé en elle et de pouvoir traverser et franchir ce que l’on nomme la jouissance et qui aurait pu la happer plus profondément dans la décompensation.

Dans l’ordre symbolique, tout élément peut valoir comme opposé à l’autre, pur signe sans sujet, la triméthylamine par exemple dans le rêve de l’Injection à Irma, où le sujet se réduit à ce symbole chimique. Chez le psychotique, tout chez lui devient signe, il est épié, parlé, regardé par l’Autre. Le psychotique ignore la langue qu’il parle. L’inconscient exclu du sujet, non assumé pour lui apparaît dans le réel. Tout ce qui a été exclu de l’ordre symbolique au sens de la Verwerfung, reparaît dans le réel. Une patiente, chanteuse lyrique est venue me voir à la suite d’une perte brutale de sa voix. Elle venait de perdre 35 kg en 6 mois, après avoir suivi une femme qui l’avait mise sous emprise mystique et a voulu la faire maigrir. Elle est fille unique, a perdu sa mère il y a 5 ans, le transfert vers cette femme a été immédiat, l’amenant à cette catastrophe psychique. Ne se reconnaissant plus dans son image corporelle, la décompensation psychotique menace, si elle a perdu sa voix, c’est l’intervention du « diable », me dit-elle à la fin de la première séance. La voix est l’instrument où se manifeste le désir de l’Autre, dit Paul Laurent Assoun. Chez cette patiente, le rond I (imaginaire) a lâché. Lorsqu’il y a dé nouage du nœud borroméen dans une structure psychotique, Lacan propose en fin d’enseignement qu’un Père-du-Nom, celui du père qui nomme et pas forcément celui du père comme nom, peut venir suppléer comme quart-élément, réalisant une psychose sans délire, puisque le nœud tient ainsi. Cette suppléance comme quart-élément, Lacan la nomme sinthome. Telle est la place qu’occupe l’analyste. Telle est la psychose lacanienne selon Philippe Julien, forclusion du Nom-du-Père mais sans dénouement du nœud borroméen grâce au Père-du-Nom; ce que Lacan avait longuement commenté avec l’écrivain Joyce, représentant lui-même son sinthome par son écriture, son art. Joyce à qui l’on avait donné le nom d’un frère mort et qui a pu valoriser son nom malgré un père défaillant. Joyce qui s’est fait lui-même Père-du-Nom du nom carent du père. L’analyste peut occuper cette place de Père-du-Nom pour un analysant, un Père-du-Nom par son dire de nomination et non son signifiant, mais dont il faut pouvoir se passer en fin d’analyse.

Une Bejahung primordiale doit se produire au moment du processus de verbalisation permettant l’accession dans le sens du symbolique mais qui peut faire défaut. Freud a admis un terme d’exclusion psychique que l’on peut rapprocher de la Verwerfung, qui se distingue de la Verneinung, la  dénégation psychique qui se produit à une étape ultérieure. Il se peut qu’un sujet refuse l’accession à son monde symbolique, n’en voulant rien savoir de la castration. Le névrosé la refoule, le pervers la dénie et le psychotique la forclos.

  1. De quoi s’agit-il dans le phénomène hallucinatoire et quelle est la signification du délire ?

Dimension imaginaire dans la relation à l’autre

Pour Lacan, le sujet se constitue par son accès au monde symbolique. Mais en même temps qu’il entre dans le langage, il s’y aliène en perdant quelque chose de fondamental de sa Vérité. Le sujet, en tant qu’il parle, élide quelque chose de lui qu’il ne peut savoir. D’avoir, à la fois à se nommer dans son propre discours et à être nommé par la parole de l’autre, il se perd dans sa réalité ou sa vérité. C’est ce que Lacan nomme la « Spaltung » ou Fente du Sujet, qu’il représente donc S. Dans le langage le sujet ne peut être que représenté, dans un discours qui lui préexiste, le discours maternel ou discours de l’Autre et qui a déjà été parlé avant même sa conception. Pour vivre, l’humain a besoin d’être reconnu, parlé et en même temps il risque de confondre les représentations de lui même et des autres, ces autres qui lui renvoient son image avec son être propre. Sa vérité que le langage échoue à lui donner, il va la rechercher dans les images d’autrui auxquelles il va s’identifier, créant des identifications aliénantes. C’est une mise au premier plan de la relation sujet-objet.  C’est ce que Lacan nomme le « stade du miroir », la relation de réciprocité entre le sujet et l’objet ; ce moment ou le petit enfant de six à huit mois qui se regarde dans le miroir, prend tout à coup conscience de l’unité de son corps en jubilant et qui est confirmé par l’assentiment de celui qui le porte. L’enfant s’y reconnait comme entier et s’identifie à son reflet spéculaire, c’est le moi imaginaire, le moi idéal. L’intervention du grand Autre opère là un nouage à l’imaginaire du miroir de façon simple. C’est le signe qui vient de A qui sera attaché au moi idéal, le signe de cette image spéculaire comme désirée ou non. Le moi de Lacan est imaginaire et se différencie du moi freudien, tantôt proche du sujet, tantôt imaginaire. A partir de ce stade, « le moi est absolument impossible à distinguer des captations imaginaires qui le constituent de pied en cap : pour un autre et par un autre. » Lacan va poser par là sa critique de l’Ego-psychologie. Le moi n’a pas à être renforcé par la cure analytique mais à être déconstruit, en décollant une à une les identifications imaginaires aliénantes dont il est recouvert come un artichaut, en mettant à jour et à la conscience le refoulé afin que la Vérité du sujet puisse advenir. Il traduit ainsi la célèbre phrase de Freud : « Où ça était, Je dois advenir ». La guérison consiste à sortir de l’imaginaire aliénant, où nous sommes capturés dans les filets du désir de l’autre pour accéder à notre désir propre. Le « Je » n’est pas le « ça », le pulsionnel. Il ne naît que d’une désintrication toujours à reprendre du corps et des mots, dans une traversée perpétuellement à recommencer de la grille des signifiants.

« L’origine du refoulé névrotique ne se situe pas au même niveau d’histoire dans le symbolique que celle du refoulé dont il s’agit dans la psychose, même s’il y a les rapports le plus étroit entre les contenus. ». Reprenons le Schéma L, l’axe a-a’ de la relation imaginaire à l’autre. Schéma qui figure l’interruption de la parole pleine entre le sujet et l’Autre et son détour par les deux moi a et a’ et leurs relations imaginaires.  La relation imaginaire spéculaire est sur la ligne a-a’, où le sujet discordant, indéterminé, s’unifie à l’image narcissique, celle du petit autre ; et où s’établit tout ce qui est de l’ordre transférentiel, est en position transverse par rapport à l’avènement de la parole qu’ouvre la situation analytique dans la ligne S-A à créer, A conçu comme lieu de la parole.

                                         (Es )    S —————-a’ utre

                                                        Rel im

                                                                     Ics

                                        (moi)   a—————-A utre

Une triplicité est indiquée chez le sujet, nous dit Lacan, c’est le moi du sujet qui parle à un autre et du Sujet de l’inconscient existe en troisième personne. « Le sujet se parle avec son moi. ». Le rapport au moi est fondamentalement ambigu. L’échange symbolique authentique n’est pas facile à atteindre, il est perpétuellement interféré et remplacé par une reconnaissance de l’imaginaire, du fantasme. Dans le fantasme, une paroi de verre sépare le sujet de l’objet.  Par contre, chez le psychotique, certains phénomènes élémentaires nous montrent que le sujet est complètement identifié à son moi avec lequel il parle, ou le moi totalement assumé sur le mode instrumental, parlé, agi, écouté. Dans l’hallucination verbale, c’est lui qui parle de lui, le sujet. Le sujet parle avec son moi, comme si un tiers, sa doublure, commentait son activité. Au moment où elle apparaît dans le réel, accompagnée du sentiment de réalité, c’est la caractéristique fondamentale du phénomène élémentaire. Cela a été une révolution de constater que l’hallucination auditive n’avait pas sa source à l’extérieur. Elle l’a donc à l’intérieur, cela tient à la particularité de la parole, c’est que l’autre ne soit pas le seul qui vous entende. Le sujet s’entend lui-même quand il parle, il est à la fois l’émetteur et le récepteur. Lacan a introduit la voix et le regard comme objets du désir de l’Autre. La relation d’objet doit se manier avec prudence dans l’analyse, sous peine de déclenchements plus ou moins rapides de délires. 

Phénomènes élémentaires est un terme que l’on doit aussi à Clérambault. La paranoïa a été définie dans une large description dès le XIX° siècle, rassemblée et réduite par Kraepelin en 1899, qui a rajouté une subdivision en créant le secteur paranoïde. La définition qu’il en donne est qu’ « elle se distingue des autres par le développement insidieux des causes internes, et, selon une évolution continue, d’un système délirant durable et impossible à ébranler et qui s’installe avec une conservation complète de la clarté et de l’ordre dans la pensée, le vouloir et l’action. ». Lacan va la contredire point par point : le développement n’est pas insidieux, il y a toujours des poussées, des « moments féconds ». Un système impossible à ébranler ? : « le système délirant varie, qu’on l’ait ébranlé ou non ». Que sont clarté et ordre dans la pensée ? L’ambigüité de ce qui s’est fait autour de la question de la paranoïa tient peut-être pour Lacan à une insuffisante subdivision clinique. Il va préférer mettre l’accent sur le phénomène élémentaire, entrant le délire dans ce cadre. « Il est lui aussi un phénomène élémentaire ».  Ressort de la structure qui a été profondément méconnu.  « C’est là que je veux en venir- la difficulté d’aborder le problème de la paranoïa tient précisément à ce qu’elle se situe justement sur le plan de la compréhension. Le phénomène élémentaire, irréductible, est ici au niveau de l’interprétation. ». Qui Parle ? doit dominer toute la question de la paranoïa. La nature des rayons divins de Schreber est qu’ils doivent parler. Toute une théorie des nerfs divins qui parlent et peuvent être intégrés par le sujet. Freud n’avait jamais rien vu de ce qui ressemblait autant à sa théorie de la libido. Au moment d’être nommé Président de la Cour d’appel de Leipzig à 51 ans, ce moment d’investir une fonction considérable socialement et perturbant l’ordre des générations, le Président Schreber qui à plus d’une reprise a été en attente de devenir père s’affole, a peur de ne pas assumer cette promotion et commence à avoir des troubles, de l’insomnie, des pensées parasites de plus en plus perturbantes qui l’entrainent à un deuxième internement dans la maison de santé du Dr Flechsig. Il y avait été interné une première fois quelques années auparavant pour un délire hypocondriaque et en était sorti apparemment guéri. C’est l’introduction du signifiant du père qui introduit une ordination dans la lignée, la série des générations. Le Président Schreber sera ensuite transféré dans la clinique du Dr Pierson à Dresde, où il restera jusqu’en 1901 et où son délire va passer par une série de phases qu’il relatera, pour le bien de l’humanité, dans un livre publié en 1903, Mémoires d’un névropathe, montrant la place centrale du Dr Flechsig dans la construction du délire. Freud aborde ce livre en 1909, alors qu’il théorisait sur la psychose, et rédigera en 1910 Mémoire sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa délirante. Freud remet en question le mécanisme du refoulement devant le témoignage de l’énigme posée par l’effondrement psychique du très honorable Président de la Cour d’appel, Daniel Paul Schreber, à partir de l’idée qui « le troubla de la façon la plus étrange »… « L’idée que, tout de même ce doit être une chose singulièrement belle que d’être une femme subissant l’accouplement. ». Effondrement psychique à l’origine d’une construction prodigieuse mais pour le moins délirante. Ce qu’il est important de comprendre, pense Freud, ce n’est pas le délire, mais ce qui a provoqué cette catastrophe interne, ce sentiment de fin du monde, de son monde psychique. L’hallucination verbale est une des caractéristiques de la paranoïa. Lacan va proposer une classification de la paranoïa sur des bases totalement inédites en distinguant la relation particulière à l’Autre du  sujet dans les délires. Ce sont des outils théoriques qui permettent de « distinguer le sujet, celui qui parle, et l’autre avec lequel il est pris dans la relation imaginaire, centre de gravité de son moi individuel, et dans lequel il n’y a pas de parole. », ces outils théoriques vont aussi permettre de caractériser de façon nouvelle névrose et psychose.

Parole pleine et parole vide

« Parler, c’est avant tout parler à d’autres » dit Lacan, qui distingue ainsi deux types de parole : la parole pleine, celle qui engage, la parole qui se donne, dans le tu es ma femme, ou tu es mon maître, et qui veut dire « Tu es ce qui est encore dans ma parole, et cela, je ne peux l’affirmer qu’en prenant la parole à ta place. Cela vient de toi pour y trouver la certitude de ce que j’engage. ». Cette parole dont l’unité est fondatrice de la position des deux sujets. La parole peut être aussi feinte, menteuse, parole vide. La parole en tant que parler à l’autre, c’est faire parler l’autre comme tel. Ce qui est visé dans le message, parole pleine ou feinte, c’est que l’autre soit là en tant qu’Autre absolu. « C’est essentiellement cette inconnue dans l’altérité de l’Autre, qui caractérise le rapport de la parole au niveau où elle est parlée à l’autre. ». Mais la parole ne parle pas seulement à l’autre, elle parle de l’autre en tant qu’objet, et c’est de cela qu’il s’agit quand un sujet vous parle de lui. Quand on s’aperçoit qu’il parle de lui un peu plus qu’il ne voudrait, on s’aperçoit qu’il délire. Il y a une différence de niveau entre l’aliénation comme forme générale de l’imaginaire et l’aliénation dans la psychose. Le premier rapport au monde est paranoïaque, rappelle Lacan. L’objet d’intérêt humain, c’est toujours l’objet de l’autre. Le premier abord que l’on a de l’objet c’est l’objet en tant qu’objet du désir de l’autre. Au départ le sujet est plus proche de la forme de l’autre que de la sienne, le moi humain c’est l’autre. Et c’est dans cette rivalité première fondamentale, dans une mise à mort de l’autre, que se constitue le monde humain comme tel et que s’origine l’agressivité comme tentative de se différencier de l’autre. La dialectique de l’inconscient implique toujours dans une de ses possibilités, la lutte, l’impossibilité de coexistence avec l’autre. La base rivalitaire et concurrentielle est au fondement de l’objet et aussi ce qui est surmonté par la parole, pour autant qu’elle intéresse le tiers. « Cela définit à l’intérieur du rapport de la parole, quelque chose qui provient d’une autre origine – c’est exactement la distinction de l’imaginaire et du réel. Une altérité primitive est incluse dans l’objet, en tant qu’il est primitivement objet de rivalité et de concurrence. ».  L’objet humain se distingue par sa neutralité et sa prolifération indéfinie, c’est le fondement sur lequel se différencie le monde humain du monde animal. La distinction de l’Autre avec A, lieu non connu dans lequel le sujet va venir puiser ses signifiants et l’autre avec a, c’est à dire de l’autre qui est moi, source de toute connaissance est fondamentale. La question va être la suivante : est-ce que le sujet vous parle et deuxièmement de quoi parle-t-il ?

La connaissance dite paranoïaque est une connaissance instaurée dans la rivalité de la jalousie au cours de l’identification première définie dans le stade du miroir.  La question est de savoir comment ça parle et quelle est la structure du discours paranoïaque. Est-ce une vraie parole ? Il va vous parler d’abord de quelque chose qui lui a parlé. Le discours psychotique est caractérisé par deux formes, une pleine et une vide qui arrêtent la signification : d’abord un mot qui fait plomb dans le sens du discours, sorte de plomb dans le filet, le réseau du discours, le mot « diable » de ma patiente, ou « truie » du cas que décrit Lacan. C’est une caractéristique structurale qui signe le délire. La deuxième forme, plus vide, va être appelée à l’opposé du mot, la ritournelle. Les délires peuvent être abordés avec l’idée qu’ils peuvent être compris dans le registre psychanalytique. Et l’analyse du délire nous livre le rapport subjectif du sujet à l’ordre symbolique, milieu distinct du réel et de l’imaginaire, constitutif de la réalité humaine. La sensibilité de Schreber va saisir ce qu’il y a de différent entre le langage symbolique et son discours intérieur permanent, ou plus exactement dit Lacan, ce balancement où se répond à soi-même un discours « ressenti par le sujet comme étranger et lui manifestant une présence ». C’est cette voix « gentille de Dieu » entendue par une patiente quittée par son mari : « Tu vas t’en sortir ». Voix qui s’est tue après la prise de Zyprexa lors de sa première hospitalisation, mais qui est revenue un an plus tard, à la même date, alors qu’elle se croyait guérie et avait tout arrêté. La même voix répétant les mêmes choses, dans un climat d’euphorie, d’insomnie totale et de sentiment de toute-puissance. C’est aussi ce que décrit Schreber , d’une rencontre à Dieu à laquelle il n’était pas du tout préparé. Mais confronté à cette expérience qui a tous les caractères d’une réalité, il va élaborer tout un discours raisonnant et construit dans lequel il perçoit le poids propre de la présence indiscutable d’un dieu du langage. Schreber distingue deux plans forts différents de l’usage du langage.  « La promotion, la mise en valeur dans la psychose des phénomènes de langage est pour nous le plus fécond des enseignements » dit Lacan qui insiste dans son séminaire Les psychoses sur l’exigence de la présence de troubles du langage avant de porter un diagnostic de psychose. Dans la catastrophe psychotique du délire paranoïaque deux versants s’articulent : d’abord un effondrement subjectif allant jusqu’à la mort psychique du sujet, une dissolution de l’imaginaire ; puis une restructuration, une restauration dans laquelle le sujet devient cause du monde.

L’hallucination verbale

Rien n’est aussi ambigu que l’hallucination verbale, ce quelque chose qui surgit dans le monde extérieur, qui s’impose comme perception, située dans le réel. « Ce qui signe l’hallucination, c’est ce sentiment particulier du sujet, à la limite du sentiment de réalité et du sentiment d’irréalité, sentiment de proche naissance, de nouveauté, et pas n’importe laquelle, de nouveauté à son usage faisant irruption dans le monde extérieur. ». L’hallucination et le délire apparaissent comme une perturbation de la réalité mais ce qui est important à savoir c’est que le sujet y reste attaché par une fixation érotique. Leur délire, ils l’aiment les psychotiques dit Lacan, comme ils s’aiment eux-mêmes. Freud écrit dans Sur les psychonévroses de défense « l’hystérie répète ses symboles mnésiques sans modification, tandis que l’hallucination mnésique paranoïaque subit une déformation comme celle de la névrose obsessionnelle ; une image moderne analogue vient à la place de l’image refoulée….Ce qui est tout à fait particulier à la paranoïa et ne peut plus être éclairé par cette comparaison, c’est le fait que les reproches refoulés font retour sous forme de pensées mises à voix haute ; dans ce processus, les reproches doivent subir une double déformation, une censure qui mène au remplacement par d’autres pensées associées ou à la dissimulation par des modes d’expression indéterminés et la relation à des expériences récentes simplement analogues aux anciennes. ». (Dans la comparaison de la névrose obsessionnelle et de la paranoïa, dans les deux cas le refoulé qui est le noyau du mécanisme psychique est une expérience de l’enfance.). Dans l’hallucination, du psychique devient conscient comme s’il était perçu « du psychique s’hallucine au dehors au lieu de souvenir du dedans. Voix ou pensée ? Une hallucination est un trouble du langage ; elle est aussi un trouble de la voix. » dit Solal Rabinovitch. « La voix de la conscience » qu’est le surmoi, cette voix est déplacée dans la psychose à l’extérieur, « par erreur » rajoute Freud, pouvant amener à l’extrême de la mélancolie où le surmoi maltraite ce pauvre moi jusqu’à lui intimer l’ordre « Jette-toi par la fenêtre », ce que fait le moi prêt à obéir dans ce moment où l’Autre n’est plus que démesure. « Surmoi qui a la tête dans les étoiles mais les pieds dans la boue de la pulsion » écrit Solal Rabinovitch. Surmoi qui a en commun avec la psychose son caractère de séparé et d’étranger. Le Surmoi est un représentant de l’instance parentale et héritier du complexe d’Œdipe, il s’est constitué comme voix introjectée parce qu’à l’origine, ça parlait de lui chez les parents. L’hallucination verbale est cette part de création du sujet qui n’existe que par et pour lui-même et qui fait que le sujet entende un autre dans ce discours intérieur.. Quand un sujet parle, il s’entend en même temps qu’il parle mais dans l’hallucination verbale il s’agit d’autre chose que ce qui est enregistré acoustiquement, une phrase vivante puisqu’elle a une signification et que le sujet est à l’écoute, à la recherche de cette signification. Ce que la phénoménologie du cas délirant met en relief, c’est l’anticipation de la signification ; et c’est au niveau où le signifiant entraîne la signification que l’entendre et le parler sont comme l’endroit et l’envers. Une signification renvoie toujours à la signification et le sens va toujours vers une autre signification, vers la clôture de cette signification. Où s’arrête-t-elle ? Eh bien « toujours au niveau de ce terme problématique qu’on appelle l’être. ». Le discours vise essentiellement l’être. La limite de ce discours c’est quand il débouche sur quelque chose au-delà de la signification, sur du signifiant dans le réel. C’est l’hypothèse de travail que propose ici Lacan, qu’au centre de l’expérience de Schreber, ce qu’il sent sans le savoir, c’est qu’il est emporté par « l’écume » que provoque ce signifiant et qui organise à la limite tous les phénomènes. « Parce qu’elle lie l’homme au langage, la voix est la dimension de la chaîne signifiante » écrit Solal Rabinovitch, montrant aussi la duplicité de la voix, à la fois signifiante et sexuelle. La voix est un objet qui se détache du corps, venue de l’Autre elle se détache de la parole. « Hallucination, la voix est détachée du corps et de la parole ; mais c’est d’un Autre incarné au dehors qu’elle revient au-dedans. L’immatériel de son vide est comblé par du réel. ». La psychose éclaire pour elle l’énonciation, « elle y vient de l’extérieur tel un trou creusé par les voix à l’intérieur du sujet, un trou que referme le terrible « Tu » de la persécution, soit la jouissance. ». L’énonciation qui est donc un vide, un trou d’où résonne l’écho dont ne sait quoi. Vide que Schreber va creuser comme les mystiques, Thérèse d’Avila, pour que vienne y résonner la voix divine. Schreber fabrique ce même vide avec ses « pensées de penser à rien », des pensées qui produisent le retrait de Dieu avec des appels au secours censés être entendus par les nerfs divins qui se sont séparés de lui. Phénomène de l’appel au secours qui est d’une autre nature que le hurlement relève Lacan. Le hurlement n’est qu’un signifiant alors que l’appel à l’aide a une signification. Mais la gamme de phénomènes observée chez Schreber se caractérise par un éclatement de la signification. Ses rayons des nerfs le disent bien aussi « Nous les rayons manquons de pensée ». Schreber va être contraint d’y pourvoir en fournissant le signifiant manquant, en fournissant les mots aux voix tout le long de l’élaboration de son délire qui fait de lui l’épouse de Dieu. Une fois sonorisée la pensée se détache du moi et peut être éprouvée comme externe, c’est ce que Lacan appelle le parasitisme du langage. Schreber est pensé, il est le jouet d’un langage intérieur qui se dérobe à lui et tourne en roue libre, conséquence de la forclusion. Matérialisé, le langage de Schreber est un « parler de nerfs ».

Conclusion

  1. III)Le signifiant est donc donné primitivement « mais il n’est rien tant que le sujet ne le fait pas entrer dans son histoire », et ceci vers l’âge de un an et demi à quatre ans et demi. Le désir sexuel va être ce qui sert à l’homme à s’historiciser pour autant que c’est à ce niveau que s’introduit la Loi. Toute l’appréhension humaine de la réalité est soumise à ce que le sujet est à la recherche de l’objet de son désir  qui est une recherche hallucinatoire mais rien ne l’y conduit. Le désir, « souhait » dit Freud,  qui est à reconnaître dans la névrose ou la psychose se passe dans deux plans différents. La réalisation du désir refoulé se passe sur le plan symbolique dans la névrose et sur le plan de l’imaginaire dans la psychose. La paranoïa va dissoudre les condensations et les identifications entreprises dans le fantasme inconscient, la décomposition est tout à fait caractéristique de la paranoïa dit Freud « Elle démantèle de la même manière que l’hystérie condense. ».

Le désir est hallucinatoire dit Gérard Pommier. Il doit rechercher l’objet dont le surgissement est fondamentalement halluciné. « Bien entendu il ne le retrouve jamais et c’est précisément en cela que consiste le principe de réalité. »dit Lacan. La réalité humaine n’est que le montage du symbolique et de l’imaginaire et le désir est l’essence de la réalité. Ce qui apparaît dans le réel est autre chose que ce qui est recherché par le sujet, autre chose vers quoi il  tourne sa réflexion avec l’appareil de maîtrise qu’est son moi et qui peut surgir sous forme sporadique d’hallucinations. Le phénomène psychotique est « l’émergence dans la réalité d’une signification énorme qui n’a l’air de rien », puisqu’elle n’est jamais entrée dans le système de la symbolisation. Pour Schreber, il s’agit de la fonction féminine dans sa dimension symbolique essentielle, mais que l’on ne pourra retrouver dit Lacan qu’au niveau de la procréation. Dans la névrose, on reste toujours dans l’ordre symbolique dit Lacan, avec cette duplicité du signifié et du signifiant, que Freud traduit par compromis névrotique. Le refoulé reparaît toujours là où il é été refoulé, dans le milieu des symboles. Dans la psychose, le délire est lisible mais sans issue. Le refoulé reparaît mais dans un autre lieu, dans l’imaginaire et sans masque. La première fonction glossolalique d’un « mot » isolé dit Gérard Pommier, est d’exorciser le rapport au réel. « Le mot écrante le réel : c’est sa fonction civilisatrice –dont la toute-puissance de la pensée tire parti. En nommant, le sujet se retranche de ce réel, qu’il apprivoise ainsi. ». Gérard Pommier différencie les psychoses « de basse intensité », ces psychoses non déclarées souvent bien intégrées dans la vie sociale dans laquelle il place certains « états limites » qui sont des états psychiques et non des structures, des psychoses déclarées. 

L’Œdipe est essentiel pour que l’être humain accède à une structure humanisée du réel. Dans la psychose quelque chose n’a pas fonctionné, ne s’est pas complété au niveau de l’Œdipe. Les conséquences du manque essentiel d’un signifiant vont se rencontrer dans la psychose Quand un sujet arrive au carrefour où son histoire biographique l’a amené, là où il est confronté à ce défaut du manque de signifiant, il va être amené à remanier et remettre en cause l’ensemble du signifiant. Le psychotique est un peu de travers, au moment où il est sommé de s’accorder à ses signifiants, la psychose se développe. Les étapes précédant la psychose mettent en évidence que le sujet est arrivé au bord d’un trou. C’est à prendre au pied de la lettre nous dit Lacan. L’apparition de la question posée par un manque de signifiant se manifeste par des phénomènes de fange où l’ensemble du signifiant est mis en jeu ; une grande perturbation du discours se produit et l’Autre masqué qui est toujours en nous apparaît au grand jour, ce qui donne cet aspect de crépuscule de la réalité qui caractérise l’entrée dans la psychose. Certains psychotiques chez qui la psychose n’est pas encore déclenchée vivent compensés, avec des béquilles imaginaires qui permettent au sujet de combler l’absence du signifiant. C’est le cas chez ces fils fracassés verbalement par leur père, quand le père arbore quelque chose d’unilatéral et de monstrueux dans le mode de relation au fils, ne lui laissant pas d’autre choix que celui de prendre une position féminine, mais pas par crainte de la castration. Les cas ne manquent pas de fils délinquants ou psychotiques vivant à l’ombre d’une personnalité paternelle écrasante. Cette situation comporte précisément pour le sujet l’impossibilité d’assumer la réalisation du signifiant père au niveau symbolique. Il ne reste au sujet que l’image à quoi se réduit la fonction père. Image inégalable mais qui lui sert de modèle, dans une identification spéculaire qui lui sert d’accroche. L’aliénation peut être radicale chez ces sujets du fait d’une véritable dépossession primitive du signifiant, du signifiant du Nom du Père auquel il ne pourra accéder, assumant cette charge longuement dans sa vie dans une série d’identifications à des hommes leur montrant comment être des hommes, béquilles  imaginaires permettant au sujet de compenser l’absence de signifiant mais le laissant dans un fonctionnement psychotique compensé. Quand chez le psychotique compensé, cette image captatrice auquel il s’accroche devient démesurée, que le personnage se manifeste dans l’ordre de la puissance et non plus du pacte ; la situation de rivalité apparaît, sur un plan imaginaire, duel et démesuré, réactivant les fantasmes œdipiens, le père freudien de la horde primitive, celui de la logique névrotique, le seul à pouvoir jouir et le maintenir châtré, dans une privation totale. Tous les fantasmes de la pelote œdipienne sont actifs dans les psychoses, dit Gérard Pommier, « mais le fantasme parricide qui conclue leur série ne trouve pas l’exutoire symbolique du nom. » . La haine ne peut que se réactiver sans se dépasser. .. La masculinité ne peut s’instaurer chez le garçon que s’il réussit à surmonter les dangers d’une castration imaginaire par le père. Le père doit pouvoir devenir un allié pour le garçon, lui servir de modèle de masculinité, l’encourager à adopter un comportement masculin même s’il n’inclut pas la possession de la mère. 

Entre l’aliénation comme forme générale de l’imaginaire et l’aliénation dans la psychose, la différence est de niveau.  La psychose consiste en un trou, un manque au niveau du signifiant ; et « le manque d’un signifiant amène nécessairement le sujet à remettre en cause l’ensemble du signifiant. ». C’est là pour Lacan la clé fondamentale du problème de l’entrée dans la psychose. C’est une vérité d’expérience dans l’analyse que Lacan reprend dans son article « Du traitement possible de la psychose », dans Les Ecrits, véritable condensé de l’ensemble de ce séminaire ; il se pose pour le sujet la question de son existence, non sous l’espèce de l’angoisse qu’elle suscite au niveau du moi, mais en tant que question articulée :  Que suis-je là ?, véritable signifiant fondamental concernant son sexe et sa contingence au niveau de l’être, à savoir s’il est homme ou femme d’une part et que d’autre part, il pourrait n’être pas, conjuguant leur mystère et le nouant dans les symboles de la procréation et de la mort. La question de la procréation est un facteur commun à la position féminine et à la question masculine dans l’hystérie. Suis-je ou non quelqu’un capable de procréer ? est donc une question qui se situe au niveau de l’Autre, pour autant que l’intégration à la sexualité est liée à la reconnaissance symbolique. La paternité et la mort étant deux signifiants que Freud conjoint à propos des obsessionnels. C’est l’appréhension du réel de la mort qui donne son plein sens pour les deux sexes, au terme de procréer. « Le président Schreber manque selon toute apparence de ce signifiant fondamental qui s’appelle être père. ». L’épisode délirant survient chaque fois qu’un signifiant de la paternité vient bousculer l’équilibre auquel il était parvenu. La psychose se franchit au moment où du champ de l’autre vient l’appel de ce signifiant qui ne peut être reçu. Le registre de la paternité ouvre le registre de la génération. Au moment où Schreber risque de perdre ce qui peut le rattacher à l’humanisation, il tente de se présentifier par un menu commentaire courant de sa vie, ce qui fait le texte de l’automatisme mental. Après la collision avec le signifiant inassimilable, il s’agit de le reconstituer, ce père, ce rond symbolique qui tient pour les autres, dans un énorme effort de rétrospection qui aboutit à des choses tout à fait prolifératives et farfelues qui s’appellent la psychose. 

                                                                                                     Monique Lauret.

Monique LAURET                                                                                                                       Psychiatre, psychanalyste- Membre d’Espace analytique Paris – membre de la Fondation Européenne de la psychanalyse – lauretmonique@wanadoo.fr

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