LE TEMPS QU’IL FAUT POUR ÊTRE

06/02/2016

LE TEMPS QU’IL FAUT POUR ÊTRE

Fondation Européenne de la Psychanalyse Malaga- Février 2016 –

Monique LAURET

Psychiatre, psychanalyste- Membre d’Espace analytique Paris – membre de la Fondation Européenne de la psychanalyse

Les critères de fin d’une analyse représentent un questionnement important chez chaque psychanalyste dans sa responsabilité éthique face à cet autre, son semblable, qu’il va accompagner sur le chemin de l’humanisation dans une solidarité élémentaire, celle de l’inconscient. Faire une analyse permet de réécrire son histoire, de gagner sur les zones sombres de l’inconscient en élargissant sa conscience dans un principe d’erweiterung. Pour Freud, la mise à jour du refoulé, après avoir vaincu les résistances, libère l’énergie psychique et ouvre à ce « fonds primitif » décrit par Lou Andréa Salomé et pressenti par les poètes, cette énergie vitale créatrice qui jaillit de l’inconscient. La dissection analytique, comme le dit si joliment Lou Andréa Salomé, est un travail delibération de l’intensité de la vie. Freud renonce à la suggestion pour laisser le sujet intégrer ce dont il séparé par des résistances. Les capacités à travailler et à aimer seront des caractères majeurs de cette fin d’analyse. Une cure efficace redonne au patient la possibilité de travailler et de jouir de la vie, même s’il est médiocrement doué dit Freud. Chez toute personne capable de sublimation, le processus de sublimation se réalise de lui-même dès que les inhibitions ont été levées. Le refoulement pour Freud, s’organise à partir d’un premier noyau du refoulé, un centre d’attraction qui appelle à lui tous les refoulements ultérieurs et qu’il appelle l’expérience originelle du trauma. « Tous les refoulements se produisent dans la première enfance ; ce sont des mesures de défense primitive du moi immature et faible »1Otto Rank pensait pouvoir raccourcir la durée des cures en traitant le traumatisme de la naissance, prototype ultérieur pour lui de toute problématique de séparation. Il supposait que « l’acte de la naissance » était la véritable source de la névrose, dans le fait que la « fixation originaire » à la mère ne soit pas surmontée et qu’elle persiste en tant que refoulement originaire.2 IL espérait éliminer la névrose entière grâce à la liquidation analytique après-coup de cetraumatisme originaire. C’était faire fi de toute l’activité fantasmatique déployée et des désirs sexuels infantiles. Ce raisonnement audacieux ne résista pas à l’examen critique de Freud. Il pensait que Rank s’était laissé prendre aux sirènes de la « prosperity » américaine, qui ne manque toujours pas d’attirer de nouvelles recrues dans le soin psychique. Melanie Klein, dans ses derniers écrits, se posera la question de cette séparation de fin d’analyse réactivant les angoisses les plus anciennes. La

1 Freud S., « Analyse avec fin et analyse sans fin », (1937), in Résultats, idées, problèmes, Puf, 2009, p.242. 2 Freud S., Cf Ibid, Puf, 2009,p.231.

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fin d’analyse se prépare en ce sens pour elle et il est nécessaire de se poser la question : est-ce que les conflits infantiles précoces de la première année de vie ont-été suffisamment analysés et perlaborés dans le cours de la cure ? Je pencherais en ce sens, une analyse n’est « complète » que si elle a pu aborder les temps psychiques les plus archaïques. Ces temps dominés par les angoisses paranoïdes, persécutives de la « position paranoïde-schizoïde » et les angoisses dépressives de la « position dépressive » de la première année de vie. L’angoisse persécutive se rapportant aux dangers ressentis menacer le moi et l’angoisse dépressive aux dangers ressentis menacer l’objet aimé3. Ce concept de « position dépressive » central dans le développement psychique de l’enfant et dans la théorie de Melanie Klein, reconnu par Lacan, a été introduit par elle en 1934 dans son article « Contribution à l’étude de la psychogénèse des états maniaco dépressifs »4. L’expérience de la naissance est ressentie comme une attaque pour Melanie Klein, rejoignant par-là Rank. La menace ressentie contre l’organisme provient selon Freud de la pulsion de mort et suscite pour elle la peur d’annihilation. Ces sentiments persécutifs et dépressifs reviennent tout au long de l’enfance, mais aussi tout au long de la vie dès que situation de deuil est réactivée. La fin d’une analyse impose un temps de séparation et un temps de deuil de ce temps entre parenthèses du travail de perlarboration, d’intégration et de subjectivation. La perlaboration est ce néologisme inventé pour traduire le terme allemand Durcharbeitung, qui veut dire travail à travers. La perlaboration est le travail qui pendant la cure amène à l’éradication du symptôme. Il consiste à répéter au cours de l’analyse les mêmes scènes encore et encore, jusqu’à ce que le refoulement soit mis en échec et que s’élabore l’histoire consciente du symptôme. Il est absolument nécessaire, ce que confirme la nécessité de la Durcharbeitung, qui n’est pas simplement un ressassement entrainant une imprégnation, «qu’un certain nombre de circuits soient parcourus pour que la fonction de symbolisation de l’imaginaire soit efficacement satisfaite. »5, rappelait Lacan. Melanie Klein a souligné l’importance cruciale de l’élaboration et de la transformation des fantasmes pour l’équilibre et l’enrichissement de la personnalité. La position dépressive permet l’élaboration des fantasmes, l’atténuation du sadisme, allant de pair avec l’intégration de la bisexualité. Elle insiste, dans le chapitre VII de son dernier ouvrage, Envie et gratitude, sur l’importance des éléments innés, constitutionnels qui déterminent la force du moi, l’intensité des pulsions destructrices et des angoisses paranoïdes liées. « L’envie, manifestation la plus puissante des pulsions sadiques-orales et sadiques anales est également de nature constitutionnelle. »6. Lorsqu’un moi faible est soumis à des angoisses aussi intenses il utilise des défenses qui appartiennent à un stade primitif du développement, qu’elle a nommé de type maniaque, le déni, le clivage et l’omnipotence. L’envie constituerait pour Melanie le principal roc sur lequel peut buter une analyse, dans son rôle dans le transfert négatif avec ses effets de négativité sous tendu par la haine, dans son rôle en fin d’analyse, ce n’est pour elle qu’en atteignant les couches psychiques les plus profondes liées à ces mécanismes d’envie que l’analyse a des chances d’avoir son plein effet, dans ce moment pour Lacan de destitution subjective. Le kleinien James Gammill introduit une nouvelle notion majeure, celle de

3 Melanie Klein, « Terminaison d’une analyse », in Le transfert et autres écrits, Puf, 1995. 4 Klein M., Essais de psychanalyse, Ed. Payot, 1968.
5 Lacan J., La relation d’objet, Le séminaire livre IV, Seuil, p.276.
6 Melanie Klein, Envie et gratitude, Gallimard, 1968, p. 84.

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« contre vérité psychique »7. Il nomme ainsi un ensemble défensif dirigé contre la vérité psychique « lorsqu’il y a crainte, essentiellement inconsciente, que la reconnaissance de celle-ci n’entraîne une souffrance psychique trop importante pour être supportée ». Mécanisme responsable de certains échecs thérapeutiques du côté du patient ou du côté de l’analyste, créant une contre écoute, un non recevoir du discours du patient, une mé-compréhension, misunderstanding, du matériel psychique du fait d’une angoisse totalement inconsciente chez le thérapeute. Nous rejoignons là Lacan lorsqu’il parle du contre-transfert dans son premier séminaire « Les écrits techniques de Freud » comme une masse idéationnelle : « le contre-transfert n’est rien d’autre que la fonction de l’égo de l’analyste, ce que l’ai appelé la somme des préjugés de l’analyste. »8. Contre-transfert de l’analyste lié à des points aveugles de sa propre cure qui peuvent entrainer bien des échecs de fin d’analyse. La question du pouvoir du psychanalyste est une question cruciale qu’avait développée Lacan dans « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » en 1958. Il entendait montrer en quoi « l’impuissance à soutenir authentiquement une praxis, se rabat, comme il en est de l’histoire des hommes commun, sur l’exercice d’un pouvoir. »9. Il est essentiel de rappeler que celui qui a le pouvoir dans la cure c’est le signifiant, et son rôle dans la localisation de la vérité analytique. Le but de l’analyse est d’éliminer définitivement la névrose, rappelait Freud. L’analyse est terminée quand le patient ne souffre plus de ses symptômes, a surmonté ses angoisses et quand l’analyse a ramené au jour et à la conscience le refoulé. L’étiologie des troubles névrotiques est mixte, soit le problème de pulsions excessivement puissantes, soit de séquelles de traumatismes très anciens, faisant intervenir l’action combinée de deux facteurs, le constitutionnel et l’accidentel. L’étiologie traumatique est celle qui offre pour lui le terrain le plus favorable pour l’analyse. Le moins favorable est constitué par la puissance constitutionnelle des instincts et l’altération du moi à la suite de sa lutte défensive dans le conflit l’opposant à la pulsion. De trois facteurs vont dépendre selon Freud l’issue de la cure : l’influence des traumatismes, la force constitutionnelle des pulsions et le degré de modification du moi.

Du côté de l’analysant, l’idéalisation excessive de l’analyste peut-être utilisée comme moyen de défense contre cette douleur de séparation et l’angoisse persécutive. Ce que l’on peut voir dans certaines institutions regroupant un transfert sur un seul. L’impasse principale, rappelle Gérard Pommier, est quand elle devient transfert à la personne, dans un transfert non « liquidé », réduisant et recroquevillant les potentialités de l’existence sur l’analyse, devenue la « vraie vie, entièrement dominée par l’hallucination de l’analyste. »10. L’impasse peut aussi venir de la fin d’analyse de l’analyste, rappelle Gérard Pommier, ce moment qui nécessite la construction du fantasme ainsi que son interprétation. Moment qui place l’analysant futur analyste devant un choix inévitable dont l’option est imprévisible : soit s’identifier au désir qui le cause, l’analyse est terminée et il peut devenir analyste à son tour, soit s’identifier à l’Autre du discours, lieu d’adresse de toute parole et non son déchet. Il peut dans ce cas prendre « la position de pouvoir de celui qui sait ce que

7 James Gammill, La position dépressive au service de la vie, Ed. In Press, 2007.
8 Jacques Lacan, « « Les écrits techniques de Freud », Le séminaire, Livre I, Seuil, 1975, p. 31.
9 Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Les Ecrits, Seuil, 1966, p. 586. 10 Pommier G., « Attention à la queue du transfert », in La clinique lacanienne, n°21, Eres, 2012.

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détermine le désir. »11. Ce choix de s’identifier à l’Autre du discours peut trouver son origine dans l’horreur de la castration, au moment où dès l’interprétation l’Autre maternel s’efface. S’identifier à cet Autre permet de maintenir cette figure malgré tout. Il s’agit d’un sérieux écueil sur lequel vient buter l’analyse.

Lacan rappelait les deux temps de coupure nécessaires à une fin d’analyse, celui de la séparation à l’Autre permettant la sortie de l’aliénation, mais une fin d’analyse ne saurait s’y réduire et le deuxième temps celui de coupure avec l’objet. Celui auquel le sujet s’était identifié en lieu et place du sexuel, l’objet oral ou vocal pour l’hystérique, l’objet anal ou regard pour l’obsessionnel. La chute de l’illusion ainsi que la chute de l’objet de la fin d’analyse et de la logique du passage d’analysant à celui d’analyse, constitue la position de « sujet absolu » pour Safouan. Reprenons le fantasme fondamental de l’obsessionnel que Lacan reprend dans son séminaire « Le transfert » à partir de l’Homme aux rats. Dans son fantasme, « Celui-ci se dévalorise, met hors de lui tout le jeu de la dialectique érotique »12 en feignant d’en être l’organisateur. C’est sur le fondement de sa propre élimination qu’il fonde tout ce fantasme. Pour Lacan les choses sont fixées au point d’identification du sujet au petit a excrémentiel, l’objet est anal. Le stade anal se caractérise en ceci que le sujet ne satisfait un besoin que pour la satisfaction d’un autre, répondre à la demande d’un autre. Pour Lacan il y a au stade anal un reflet du stade sadique-oral, un stade sadique-anal ou le partenaire est attendu en souffrance. « Une suspension de l’autre imaginaire au dessus du gouffre de la souffrance est ce qui forme la pointe et l’axe de l’érotisation sado-masochiste »13 . C’est dans cette relation que s’institue au niveau anal le partenaire sexuel. Le cadeau excrémentiel fait partie pour Lacan de la thématique la plus antique de l’analyse. C’est dans ce séminaire que Lacan détermine la fonction de l’objet a comme cause du désir et centre du fantasme. C’est pour lui sa plus grande découverte. Le désir maintient sa marge dans la place de la demande comme telle, demande orale, anale ou génitale. C’est dans l’identification du sujet à l’objet du désir oral que se profile le risque de morcellement constitutif. La découverte de l’analyse, nous dit Lacan « c’est que le sujet, dans le champ de l’Autre ne rencontre pas seulement les images de son propre morcellement, mais d’ores et déjà dès l’origine, les objets du désir de l’Autre »14. A savoir les objets de la mère à la fois dans leur état de morcellement mais aussi avec les privilèges que lui accorde le désir de celle-ci. Lacan rejoint là Melanie Klein, dans sa reconnaissance de l’objet « phallus paternel », rencontré dès les premiers fantasmes du sujet. Objet qui est pour Lacan à l’origine du fandum du il va parler, il doit parler. « Dans l’empire intérieur du corps de la mère où se projettent les premières formations imaginaires, quelque chose qui se distingue comme plus spécialement accentué, voire nocif, est aperçu dans le phallus paternel ». Dans le champ du désir de l’Autre, l’objet subjectif rencontre déjà des occupants identifiables aux taux desquels il a à se faire valoir et à peser. A la phase orale, ce n’est qu’à l’intérieur de la demande que l’Autre se constitue comme reflet de la faim du sujet. La demande anale se caractérise par un renversement complet au bénéfice de l’Autre, de l’initiative. Dans cette

11 Pommier G., Le dénouement d’une analyse, Ed. Champs Flammarion, 1996, p. 217.

12 Lacan, Séminaire, livre VIII, « Le transfert », Seuil, 1991, p. 248. 13 Lacan, Cf Ibid, p. 247.
14 Lacan, Cf Ibid, p. 259.

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phase le désir s’articule où l’Autre en est le dépotoir. Lacan situe là l’origine des amas, des agrégats humains, de la pyramide au dépôt d’ordure. Le témoignage le plus ancien d’agglomérations humaines, ce sont d’énormes pyramides de débris de coquillages. Le mode dans lequel l’homme s’introduit au champ du signifiant, c’est dans les amas qu’il suffit de désigner. Le sujet se désigne ici dans l’objet évacué. Au point zéro de l’aphanisis du désir, il repose tout entier sur la demande de l’Autre, c’est l’Autre qui décide. Là est la racine de la dépendance du névrosé, dans la dépendance de la demande de l’Autre. Ce qu’il demande à l’Autre dans sa demande d’amour de névrosé, c’est qu’on lui laisse faire quelque chose. L’objet qui va disjoindre la demande du désir, c’est le phallus. Au stade génital, le désir apparaît comme ce qui ne se demande pas. « Le phallus est un objet privilégié dans lechamp de l’Autre, un objet qui vient en déduction du statut du grand Autre comme tel»15. Au niveau du désir génital de la phase de castration, le petit a c’est le A moins le phallus, moins phi. L’énigme du désir est nouée avec le fondement structural de la castration. Le phallus est la racine du manque du désir de l’Autre. L’objet a se constitue à partir d’un défaut. L’Autre est constitué en ceci, qu’il y a quelque part un signifiant manquant. Le problème de la castration est au centre de toute l’économie du désir. Cela va être en proportion d’un certain renoncement au phallus que le sujet va entrer en possession de la pluralité des objets dans le monde humain. La fonction du signifiant phallus va avoir une double polarité, imaginaire et symbolique. Ce à quoi le sujet a affaire, c’est à l’objet du fantasme en tant qu’il est seul capable de fixer un point privilégié dans une économie réglée (avec le principe du plaisir), par le niveau de la jouissance. La question de l’objet s’inscrit dans une topique du désir.

Dans la perversion, L’identification du sujet peut osciller entre deux pôles, l’un où il est clairement identifié à la mère phallique, la désignant de fait comme manquant du phallus, dans le transvestisme par exemple, l’autre où il est au niveau de l’objet, où il est le phallus lui-même, qui manque à la femme et qui ne doit pas lui manquer, dans le fétichisme. Cette oscillation constitue l’alternative qui résulte de la relation imaginaire primitive à la mère, elle comporte deux pôles identificatoires qui sont ceux du rapport à la mère symbolique et au phallus imaginaire. Elle constitue l’essentiel du ravage que nous pouvons observer bien souvent au niveau de la relation à la mère dans la perversion16. C’est une «oscillation entre deux objets inconciliables qui aboutit à une issue destructrice », commente Lacan17 dans la Relation d’Objet.

Lacan avait reconnu chez Melanie Klein, dans son travail chez l’enfant à la limite de l’apparition du langage, dans ce qu’elle a osé projeter de l’expérience subjective dans cette période antérieure, la primordialité de la position dépressive. Toute la théorie qu’elle a développée sous l’angle de la relation objectale, repousse pour lui les limites où l’on peut voir jouer la fonction subjective de l’identification18. La toute puissance, celle de la mère en tant que soudain réelle, ou des premiers Autres, est mise par Lacan en rapport avec la position dépressive de Mélanie Klein, car elle produit cette espèce d’anéantissement lorsque l’enfant réfléchit sur lui-même le contraste de son impuissance. Ce tournant se situe également dans la foulée du stade du miroir.

15 Lacan, Cf Ibid, p. 264.
16 Chaboudez G., « L’articulation perverse », Espace analytique, Paris, 20 novembre 2009. 17 Lacan J., « La relation d’objet », Le séminaire, Livre IV, Seuil, p. 160.
18 Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Ecrits, Seuil, 1966, p. 115.

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Cette position dépressive, l’être humain n’a jamais fini d’en découdre avec elle. Chaque nouvelle crise de la vie en réactualise une nouvelle édition, il faut alors choisir entre régresser pour fuir la douleur dépressive vers un mode de fonctionnement paranoïde-schizoïde, ou élaborer cette douleur dépressive pour permettre au développement psychique de s’accomplir. Pour Melanie Klein, cet état psychique, la position dépressive, n’est jamais totalement élaborée, ce qui aboutirait à quelque chose comme une parfaite maturité, Freud parle plutôt de stabilité psychique. Ce sont pour elle le degré d’élaboration de la dépression et le degré d’intégration des bons objets internes qui déterminent la maturité et l’équilibre d’un individu. Cet état est aussi le lieu d’articulation et de passage de la perte à la créativité. Processus créatif du deuil qu’elle a été la première à reconnaître. La capacité d’amour et de relations d’objets ne se développent librement que si l’angoisse persécutive et l’angoisse dépressive ne sont pas trop excessives. Les critères d’analyse seront pour elle la capacité d’amour, la puissance sexuelle et une hétérosexualité établie, une stabilité mentale et de bonnes relations d’objet et de travail. Mais même si des résultats satisfaisants ont été atteints, la fin d’analyse est susceptible de réveiller des sentiments douloureux et de raviver les angoisses précoces. La fin d’analyse équivaut à un deuil. En être averti permet de mieux accompagner le candidat à la liberation. C’est seulement si ses angoisses dépressives et persécutives ont été en grandes parties modifiées qu’il pourra affronter seul la dernière partie du travail de deuil qui implique, encore une fois, une mise à l’épreuve par la réalité. Communiquer à l’analysant une proposition de date de fin peut l’aider à élaborer et diminuer la douleur inévitable de la séparation et préparer le terrain. Ce terrain est ce temps qu’il faut pour être. Freud proposait une date de fin pour les analysants trop enferrés dans leurs défenses et leurs résistances, permettant de faire avancer quelquefois le travail psychique de manière plus efficace, mais « le lion ne bondit qu’une seule fois »19 disait-il. La translaboration de la position dépressive doit continuer tout au long de l’enfance et de l’âge adulte. L’adaptation croissante à la réalité est liée à des « transformations », terme privilégié chez Melanie Klein, transformations dans le fonctionnement de l’introjection et de la projection, qui permettent d’aboutir à une relation plus confiante avec le monde externe et le monde interne, avec la vie.

Monique Lauret.

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19 Freud S., « Analyse avec fin et analyse sans fin », op.cit., p.234.

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