« EX ANIMA », spectacle ZINGARO / BARTABAS

08/01/2019

« EX ANIMA », spectacle ZINGARO / BARTABAS Spectacle de Béziers, 30 avril 2019.

« À soixante ans, je pénétrais le sens profond de ce que j’entendais »

Confucius.

Comment fêter ses soixante ans ? Certains s’offrent une belle fête entourée d’amis, d’autres un grand voyage… Bartabas lui, s’offre une orchestration dédiée à ses chevaux, inspirateurs de sa création et nous fait don à cette occasion d’une Ode en clair-obscur au monde équin, au monde animal et à la nature, dans un retour aux origines et à l’archaïque, au plus près de cette Chose d’où peut jaillir la beauté éphémère de l’élan vital, du geste, le souffle, la danse animale dans le sacré de la rencontre à l’autre, animal ou homme. Les frontières sont ténues dans cette monstration hors normes qui laisse le spectateur pantois, percuté, Autre à lui- même, bouleversé par la force animale et le souffle primordial, ce principe vital et spirituel qui anime les corps. L’on ne sort pas indemne de cette rencontre et de ses résonances, traversé par l’inquiétante étrangeté de l’instinct qui nous relie à ce monde animal.

Liberté totale, tel est le ton donné par Bartabas à ses acteurs du théâtre équestre Zingaro créé en 1987. Des lusitaniens portugais, des triolles d’Argentine, de l’irisch cob aux sabots ailé jusqu’aux Pur-sang arabes d’un blanc immaculé s’élancent sur la piste dans une fraicheur et une poésie qui touche au sublime et vous plonge dans des profondeurs originelles. Soutine, le quarter horse compagnon fidèle de Bartabas est présent.

« Comme un souffle de l’âme, un cheval hennit quelque part jusqu’à la fin du monde ».

Après une entrée désorientée dans un monde autre, obscur, illuminé de multiples bougies circulaires, le cérémoniel peut commencer au son d’un orchestre d’instruments à souffle. Des flûtes immémoriales de Chine, d’Irlande, d’Inde ou du Japon jusqu’au Shofar, cet instrument qui relie le pacte de l’homme à la voix de Dieu dans la tradition juive, s’élance le souffle profond et lancinant, rythmant la danse animale improvisée. L’animal et la musique ignorent les frontières étroites. L’homme est ombre, instrument à sons au service de l’animal, remboursant la dette que l’humanité doit au cheval depuis des siècles. Il donne cette fois la parole au cheval, le mouvement se fait parole comme dans la danse. Le langage c’est le corps, un corps tenu, un corps joui et danser est une fête…

La première partie nous propulse vers la liberté originelle du mouvement, du jeu, de la ruade, de la course et du galop humant l’air du large, où la grâce ingénieuse, l’ivresse se marie à la rencontre séductrice ou rivale qui peut émerger, adoucie d’une farandole de Colombes

blanches qui se posent une à une sur le dos d’Angelo, ce solide irish cob du Connemara. L’allégresse peut alors reprendre, oublieuse du public médusé et silencieux qui l’entoure.

La seconde partie se fait plus grave, dans une confrontation au réel de la destruction de notre planète, de la pollution qui encercle, qui avance, créant des angoisses de suffocation et d’étouffement. Les acteurs se parent de masques à gaz, tentent de s’élever pour respirer puis s’épuisent. Les hommes et les chevaux meurent, laissant les loups errer et dévorer les restes de ce festin maniaque. Seul, peut émerger un cheval au-dessus de ce magma irrespirable. Le fier Lucifer au corps puissant saisira dans une saillie stupéfiante et un râle extatique, la machine centaure en forme de femelle. Illusion mortifère préfigurant la fin de l’humanité.

Une grande prouesse de la part des acteurs du Théâtre équestre, un grand moment de création singulière, vivante, d’un homme qui a toujours suivi sa voie authentique, hermétique aux sirènes du clinquant, du vulgaire et du commercial. Bartabas est un artiste sincère, engagé dans son regard sur son époque, chorégraphe de ce monde animal qui l’accompagne depuis des dizaines d’années. Un homme qui croit en l’instinct plus fort que la culture, à l’inné plus prégnant que l’acquis, aux forces mystérieuses spirituelles de l’univers et de l’inconscient auxquelles l’homme doit se relier pour ne pas se perdre et poursuivre sa voie d’humanité.

Monique Lauret

Psychiatre, psychanalyste- Membre d’Espace analytique Paris – membre de la Fondation Européenne de la psychanalyse – lauretmonique@wanadoo.fr –

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