ETHIQUE ET ACCIDENTS DU TRANSFERT

05/06/2021

ETHIQUE ET ACCIDENTS DU TRANSFERT 5 juin 2021

Colloque Toulouse

 Le sentiment éthique s’impose comme une forme d’interdiction, de conscience morale. L’interrogation éthique, a été posée tout au long des siècles, Socrate a été le premier philosophe de l’éthique et elle nous a été grandement léguée dans l’éthique kantienne. L’éthique concerne une question fondamentale en psychanalyse, c’est la question de la responsabilité du psychanalyste, à différencier de la loi morale avancée par Kant dans sa Critique de la raison pratique. La perspective kantienne mettait l’accent sur le devoir dont le poids est identifié à celui de la raison, appuyé sur le comportement réel du sujet. Le terme éthique vient du latin Ethicus dans le sens moral mais aussi du grec Ethos ou Êthos, signifiant les mœurs, ou la demeure. La voie selon laquelle les principes éthiques se formulent à la conscience, ou qu’ils sont toujours prêts à resurgir du préconscient comme commandement ont le rapport le plus étroit avec le principe de réalité, ce second principe introduit par Freud. Le fondement de la loi morale est posé chez Freud par l’interdit de la mère, comme objet de l’inceste, elle est un bien interdit, il n’y a pas de Souverain Bien. Toute la métapsychologie freudienne reflète une pensée éthique. Lacan, a fait de l’éthique un thème majeur et l’a placé, à la suite de Spinoza, comme une réponse possible au malaise dans la culture.

 Lorsque les progrès moraux et éthiques d’une civilisation ne sont pas à la hauteur des progrès scientifiques, le décalage imposé ne fait qu’accentuer les difficultés et provoquer des crises, comme celle que nos sociétés traversent actuellement. La récente crise du Covid-19 soulève de nouvelles questions que nous devons aussi interroger. Freud est parti de l’attitude radicale du médecin, qui, vis-à-vis du corps du patient, a l’attitude d’un expert qui démonte une machine ; dans une perspective qui décompose le vivant. Cela pourrait avoir quelque chose de troublant, voire de scandaleux, mais c’est oublier que la machine est liée à des fonctions essentiellement humaines. Elle incarne l’activité symbolique la plus absolue chez l’homme, mais elle peut avoir des effets pervers et délétères sans encadrement éthique et moral, soumettant aujourd’hui l’homme à une nouvelle parole ordonnatrice. Lacan parlait déjà, non sans humour dans les années soixante, « d’une machine la plus moderne et beaucoup plus dangereuse pour l’homme que la bombe atomique, la machine à calculer ». L’ordinateur, la pensée numérique et les logiques algorithmiques n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements. La machine semble aujourd’hui prendre la parole ordonnatrice, celle annoncée par Georges Orwell dont le monde apocalyptique déshumanisé semble déjà dépassé. Cela soulève de profondes questions éthiques que nous pourrions prolonger lors du colloque d’octobre. Nous nous devons de veiller pour nos descendants à respecter le droit à la vie, le droit à un « futur viable » et la dignité à laquelle tout être humain a droit. 

Le moteur essentiel à l’humanisation de la psychiatrie et au travail psychique qui peut se mettre en œuvre à partir de la rencontre avec un soignant, c’est le transfert. Le transfert est une relation de confiance qui s’instaure avec la personne thérapeute qui va pouvoir aider à la guérison et dans laquelle va se réactualiser l’histoire infantile du sujet. « La relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité, disait Freud, c’est-à-dire sur la reconnaissance de la réalité,… elle exclut tout faux-semblant et tout leurre ». Faire une analyse permet de réécrire son histoire, de gagner sur les zones sombres de l’inconscient en élargissant sa conscience dans un principe d’élargissement, d’erweiterung, comme avait dit Freud dans les Trois Essais. S’engager dans une analyse permet de naître à soi-même, en tant que sujet authentique, porteur de sa parole. Pour Freud, la mise à jour du refoulé, après avoir vaincu les résistances, libère l’énergie psychique et ouvre à ce « fonds primitif » décrit par Lou Andréa Salomé et pressenti par les poètes, cette énergie vitale créatrice qui jaillit de l’inconscient. La « dissection » analytique, comme le disait si joliment Lou Andréa Salomé, est un travail de libération de l’intensité de la vie. Les capacités à travailler, à sublimer (autre versant du sentiment éthique), et à aimer seront des caractères majeurs de cette fin d’analyse. L’un des buts de la cure est de parvenir à aimer, c’est-à-dire de ne plus jouir de la haine primaire et de s’ouvrir à la capacité de sublimation. 

L’éthique consiste essentiellement en un « jugement sur notre action », disait Lacan. « Que devons-nous faire pour agir d’une façon droite, étant donné notre condition d’homme ? « [1]. La cure analytique débute avec la mise en place du transfert, un des piliers majeurs pour Freud, le désir de l’analyste en est le pivot. Lacan mettra en exergue cette question centrale du désir de l’analyste en formulant une nouvelle éthique à partir de son séminaire Le transfert. Le transfert, Übertragung, désigne en psychanalyse le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains choix d’objet, de manière répétitive, dans le cadre de la relation analytique. L’analyste, le temps de la cure, va être investi de mouvements psychiques affectifs voire passionnels, face auxquels sa neutralité va aider au dépassement. Le transfert s’impose pour Freud comme une dernière création de la maladie, permettant le déplacement, (l’étymologie du mot transfert est transferre , porter au-delà, synonyme de transport), des produits psychiques morbides dans un mouvement qui nécessite la mise à jour des causes de l’impasse subjective et par là la possibilité de modifications du positionnement psychique du sujet à leur respect. Ce transfert est à la fois le levier de guérison de la névrose, mais aussi quelquefois son plus grand obstacle. Lacan avait évoqué le désir de l’analyste en tant que « désir averti », un désir plus fort que les autres désirs qui peuvent animer l’analyste, mais un désir qui doit être averti quant au respect de la dignité d’un être humain. L’éthique de la psychanalyse conduit à se rendre compte qu’il y a un Bien impératif à suivre si l’on veut lutter contre la pulsion de mort et cet impératif se fonde sur l’Eros.

Cette journée de colloque va aborder les différentes questions concernant l’éthique et le transfert, leur actualité, leurs impasses et quelquefois les accidents concernant une « mésalliance » dans la recherche de la vérité du désir au cœur d’un sujet. 

                                                                                                                    Monique Lauret

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