ENJEUX DE L’ETHIQUE DANS LA CURE ANALYTIQUE
ENJEUX DE L’ETHIQUE DANS LA CURE ANALYTIQUE
Toulouse le 5 juin 2021 Monique Lauret
Faire l’expérience d’une cure analytique est une expérience singulière. Sa demande est murie dans l’intime du désarroi et de la souffrance, dans une vie empêchée sur la voie de sa réalisation, bloquée, quelquefois gelée. L’enjeu d’une cure analytique est de faire advenir du Je. La psychanalyse est la possibilité offerte à un individu de changer sa souffrance en une expérience, en un champ d’expérimentation du désir à partir et à travers l’amour de transfert. La guérison advient par l’amour. L’amour est une force d’harmonisation, d’unification au service de l’Eros, des pulsions de vie. Les deux instincts primitifs de l’homme sont la faim et l’amour, soit l’instinct de conservation et l’instinct sexuel. Notre vie doit s’assurer des moyens d’existence et en même temps obtenir du plaisir de cette existence. « L’amour et la tendance à la réparation se développent en rapport avec les pulsions agressives et malgré elles. »1, dit Melanie Klein, ces deux capacités permettent de promouvoir les relations d’objet, à l’autre et dériver les pulsions de mort.
Cet amour de transfert est donc le terrain où se joue l’installation de la cure psychanalytique, ses modalités, son interprétation et la résolution de la problématique inconsciente à l’origine de la souffrance, de la répétition et des symptômes. Freud, ainsi que Lacan, en ont fait un pivot majeur de la cure analytique. Melanie Klein fera de la « position dépressive », le critère de fin d’analyse. Le temps de travail psychique de cette phase apporte la stabilité, une protection contre les défenses archaïques persécutives et l’accès vers des sentiments d’empathie et d’amour envers un autre. Mais le lieu spatio-temporel du déroulement de la cure analytique peut quelquefois s’avérer être le lieu de l’avènement paradoxal d’une relation perverse dans la rencontre analyste analysant. La relation singulière de confiance réciproque qui se crée du fait du transfert et du contre transfert, la rend plus vulnérable aux attaques perverses.
Que se passe-t-il quand dans la rencontre de ces deux désirs analysant-analyste, se produit un débordement du cadre du côté d’un passage à l’acte sexuel, la transgression sexuelle ? Il s’agit de la transgression la plus grave. Ces passages à l’acte sont-ils à entendre comme symptôme de la psychanalyse, effet de cette incompatibilité existante entre l’idéal du moi et la question de l’objet a, cause de notre plaisir d’analyste ? Effet plutôt d’un contresens pulsion désir, ouvrant à la confusion entre vie et mort, entre jouissance et joie. Il s’agit de violation de l’intimité physique et psychique d’une personne venue en souffrance à la demande analytique. C’est un fait rare, mais qui existe dans la pratique analytique. Certains cas sont connus et ont été étudiés dans l’histoire de la psychanalyse : Jung, Spielrein ; Ferenczi, Gizella Pàlos.D’autres cas ont émergé sous forme de scandales, tel récemment le cas de Masud Khan à Londres. Psychanalyste reconnu à son époque, aux nombreux écrits et à la notoriété établie, mais multirécidiviste dans les passages à l’acte sexuels avec ses patientes, signant le clivage
1 Klein M., Riviere J.,, « L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation », in in L’amour et la haine, Petite bibliothèque Payot, Ed. Payot et rivages, 2001, p.85.
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de sa personnalité. Le scandale a éclaté après sa mort, à la parution de l’article d’un de ses analysants, Wynne Godley en 20012, suivi de plusieurs plaintes. Article qui a donné lieu à de nombreux débats et a amené au grand jour la question de la violation des limites à la British Psychoanalytical Society. Masud Khan avait été analysé par Winnicot, son troisième analyste, en 1951. Le contre transfert de Winnicot a peut-être contribué à l’échec du traitement. Il n’hésitait pas, par exemple, à demander à Masud Khan d’effectuer son secrétariat et de corriger ses articles, alors que ce dernier était encore en cure avec lui et à prendre aussi sa femme en analyse en intervertissant les rendez-vous. Il est intéressant de relever que les transgressions de Masud Khan vont débuter juste après la mort de Winnicot en 1971. Le dossier de la RFP (tome 3 de l’année 2003) a porté sur les transgressions qu’il a commises.
Les Etats-Unis ne sont pas en reste sur cette question avec les travaux de Gabbard et son ouvrage 3 : Boundaries and Boundary Violations in Psychoanalysis, écrit après l’étude de soixante-dix cas de transgression des limites. C’est un travail effectué sur les limites : celle entre le patient et son analyste dans le cadre de la cure, celle entre le moi et l’inconscient refoulé chez le patient et chez l’analyste. Toute une réflexion apparaît sur les processus qui précèdent le passage à l’acte sexuel. Processus décrits comme l’érosion progressive des limites non sexuelles dans le cadre de la cure.
L’analyste travaille donc avec l’inceste et l’incestueux mais il doit être dans son désir d’analyste suffisamment clair et à distance de sa propre jouissance incestueuse. Plus près de nous, la série En thérapie, créée à la suite du traumatisme collectif des attentats de 2015 et qui rencontre actuellement, au moment d’un deuxième traumatisme collectif lié à la pandémie de Covid-19, un très grand succès, met en évidence cette difficulté et le risque de « confusion des langues » décrit par Ferenczi. L’acteur, Frédéric Pierrot incarnant avec justesse le psychanalyste Philippe Dayan, se débat avec une attirance irrésistible dans son contre- transfert vers une patiente de vingt ans de moins, Ariane, jouée par Mélanie Thierry, dont les traumatismes infantiles font écho avec les siens. Le jeu d’acteur remarquable montre bien les méandres de la psyché avec quelques effets de vérité dans le lien transfert-contre-transfert des différents patients, ainsi qu’entre collègues, avec toutefois un analyste qui interviendrait un peu trop. Carole Bouquet en superviseuse remarquable, lui rappelle souvent l’ordre symbolique. Cette patiente ne pourra pas avancer dans son analyse du fait du parasitage par la passion, la sienne, imaginaire, réactivée par le fantasme de séduction du père, celle en réponse de l’analyste, qui se fait alors « objet en trop »4, ce qui l’amènera à arrêter sa cure. Lacan avait pourtant pointé que l’irruption de la passion signait un moment à l’acmé de la résistance. Cette série a donc mis l’accent sur le phénomène le plus difficile d’une cure, celui du maniement le plus explosif des émois et des passions ainsi que le risque du passage à l’acte sexuel entre psychanalyste et analysant, véritable ravage psychique pour l’analysant en position régressive, qui a réouvert sa sexualité infantile et vit inconsciemment l’analyste comme son père et/ou sa mère. J’avais qualifié ce type de passage à l’acte d’« inceste
2 Godley, W., Saving Masud Khan. London Review of Books, 23(4).
3 Gabbard, G. O. and Lester E., Boundaries and Bundary Violations in Psychoanalysis, Basic Books, 1995.
4 M. Lauret, « Du sexuel sur le divan : une double pulsion de mort à l’œuvre », in Imaginaire et inconscient n° 38, 2016/2.
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psychique » dans mon livre Les accidents du transfert. Ma consœur Louise de Urtubey théorisait dans son livre Si l’analyste passe à l’acte, que ce type de passage à l’acte crée l’équivalent d’un traumatisme sexuel infantile, pour lequel j’avancerais le terme d’attentat psychique. Ce qui classe l’agir du psychanalyste averti du côté d’un acte pédophile, détruisant et arrêtant tout le travail psychique accompli en empêchant un sujet sur le chemin de sa libération. Refus ou haine du féminin, de l’infantile, de l’inconscient, n’est-ce pas ce qui sous- tend ces passages à l’acte ? Je penserais aussi ces facteurs responsables du formidable mouvement de rejet et de haine actuel à l’encontre de la psychanalyse.
Dans le dernier épisode de la série En thérapie, le psy va sonner chez sa récente ancienne patiente pour lui déclarer sa flamme. Il lui dit : « Je sais ce que je veux, toi », il rajoute : « Je t’aime. Je quitte ma femme », et se plaçant du côté du savoir et du grand Autre : « tu n’es pas dans la répétition inconsciente », magnifique dénégation s’adressant on ne sait à qui. Ariane, qui n’est plus si ignorante du côté du savoir inconscient, le questionne et avance dans son discours la figure du père de Philippe. L’irruption de la statue écrasante du Commandeur fait qu’au moment de vérité et de suspens de l’acte sexuel, il s’absente ou se présentifie alors, c’est la panne, le trou noir, la crise d’angoisse terrassante. Cet analyste n’est pas pervers en n’allant pas jusqu’au bout de l’instrumentalisation de l’autre, il est plutôt sur un versant névrotique, insuffisamment analysé, le parricide non symbolisé. N’ayant pas encore accédé à la castration, il se castre lui-même, incapable de se comporter en homme comme il le dit lui- même, soulevant ses propres capacités d’autodestruction et l’interrogeant sur la nature divisée de son désir. Cette série soulève donc la question de l’éthique de la pratique et du désir d’analyste dont Lacan, à la suite de Freud, avait fait le pivot central de la cure.
L’instrument du psychanalyste, c’est le plan de la vérité. Lacan le dit bien sur la question de cette expérience : « il faut que nous y conservions la possibilité d’un certain fil qui nous garantisse tout au moins que nous ne trichons pas avec ce qui est notre instrument même, c’est-à-dire le plan de la vérité. »5.Or la psychanalyse, à partir de cette double question de la vérité et de la parole n’est pas une pratique sans risques.
Les enjeux du transfert et le désir d’analyste
Le transfert s’impose pour Freud comme une dernière création de la maladie, permettant le déplacement, (l’étymologie du mot transfert est transferre, porter au-delà, synonyme de transport), des produits psychiques morbides dans un mouvement qui permettra la mise à jour de la cause de l’impasse subjective, le refoulé. Ce transfert est à la fois le levier de guérison de la névrose, mais aussi son plus grand obstacle. Le transfert doit être traité pour Lacan comme une forme particulière de la résistance, c’est un point particulier dans sa manière de réinventer la psychanalyse. Le transfert devient la réalité de l’analyste et la relation au réel, le terrain où se décide le combat dans cette relation à trois, sujet, savoir et sexe. « Le transfert devient donc le champ de bataille sur lequel doivent se concentrer toutes les forces en lutte les unes contre les autres. » rappelait Freud, en rajoutant aussi : « Le transfert, destiné à être le plus grand obstacle à la psychanalyse, devient son plus puissant auxiliaire, si l’on réussit à le deviner chaque fois et à en traduire le sens au patient 6». Signifiant deviner relevé par Catherine Muller qui le développera dans son ouvrage L’énigme freudienne. L’interprétation est d’abord ajournée jusqu’à la consolidation du transfert, elle devient ensuite subordonnée à
5 Lacan J., Séminaire livre X, « L’angoisse », (1962-1963), Seuil, 2004, p. 70.
6 Freud S., « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », in Cinq psychanalyses, Puf, 1954, p. 88.
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la réduction de celui-ci. Elle se résorbera dans ce que Lacan appelle le working through, le travail du transfert. Il y a une dangerosité du transfert, remarquait Freud, qui peut s’avérer
« un moyen dangereux entre les mains d’un analyste non consciencieux » dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse. Ce transfert, par le biais de l’amour, est à la fois le levier de guérison de la névrose, mais aussi son obstacle. L’irruption de la passion signant la résistance, le transfert peut alors devenir instrument de la résistance. L’analyste ne doit pas perdre de vue tout ce qui peut être manifestation de la résistance et entraver la continuation du traitement. La responsabilité d’un éventuel passage à l’acte, à type d’agirs ou jusqu’au plus destructif, le passage à l’acte sexuel avec un ou une analysante, dépend de sa seule responsabilité. Pour Freud, l’analyste doit se poser en « champion » du renoncement et de la pureté pour laisser ouverte la poursuite de l’analyste. « Il est interdit à l’analyste de céder. », rajoute-t-il dans La technique psychanalytique. L’irruption habituelle de la passion dans le moment le plus fécond de la cure, peut dans certains cas où les conseils de Freud sont oubliés, ne pas se produire sans dégâts pour les deux protagonistes engagés dans cette singulière expérience, l’analyste et l’analysant en prise aux mouvements psychiques tumultueux de la cure. Une double pulsion de mort est à l’œuvre dans ces cas-là. Le sujet saisi de passion est dépossédé de lui-même, le risque pour lui est de ne plus être. Il n’y a de résistance à l’analyse que de la part de l’analyste rappelait Lacan.
Le génie de Lacan, dit Moustapha Safouan, dans son dernier ouvrage Regard sur la civilisation œdipienne, est d’avoir donné tout son sens à la phrase de Spinoza « Le désir est le sens de l’homme ». Le maniement du transfert tourne autour du déploiement du fantasme et de sa mise à jour. Le sujet pris dans son fantasme et saisi de passion est dépossédé de lui-même, le risque est celui de ne plus être. L’analyste, muni de sa boussole analytique, doit maintenir le cap, quel que soit la météo psychique, celui de faire advenir du sujet à l’aide du signifiant, le seul qui ait le pouvoir dans la cure, dont le facteur décisif du progrès tient dans l’introduction de la fonction de coupure. Le but de l’analyse est d’éliminer définitivement la névrose, rappelait Freud dans la mise à jour du refoulé et la compréhension du fantasme fondamental inconscient. Dans son séminaire Le transfert, il en donne une définition : « il s’agit de ce qui est au cœur de la réponse que l’analyste doit donner pour satisfaire au pouvoir du transfert » 7. Une éthique va être à formuler pour Lacan, intégrant les conquêtes freudiennes sur le désir, il s’agira de mettre à la pointe pour lui, en exergue, la question centrale du désir de l’analyste. L’analyste doit s’absenter de tout idéal d’analyste, il doit extraire de lui cette fonction d’idéal du moi, même s’il est devenu lui-même cet objet a, dans sa pratique et pour sa pratique. Il doit se laisser retirer cet objet sublimé a, centre du fantasme, par l’analysant en fin de cure, objet construit comme pure affaire de logique, qui doit choir par un effet de coupure. Lacan considérait cet objet a comme sa seule invention. L’acte véritable de la psychanalyse est porté par ce désir.
Quels sont conséquences psychiques d’une transgression sexuelle sur le divan ?
Conséquences psychiques chez le patient abusé
7 Lacan J., « L’analyste et son deuil » in Séminaire livre VIII, « Le transfert », Seuil, p. 451.
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Ces exemples décrits de risques du métier les plus graves, soit le passage à l’acte sexuel entre l’analyste et l’analysant doivent nous amener à toujours repenser au-delà d’une morale, notre impossible métier ainsi que son éthique. Qu’est-ce qui peut faire qu’un analyste perde son cap et laisse la vague de l’infantile submerger l’édifice de subjectivation construit, fragile chez l’analysant, qui peut mener à un véritable effondrement psychique quand le fantasme est agi ? L’analyste peut se laisser entrainer par un point resté aveugle de sa propre analyse à lui.
Le passage à l’acte se produit en l’absence du sujet, Lacan le comparait à une fugue, où l’agir est mené par l’objet a, dans sa fonction de reste du sujet auquel il est totalement identifié à ce moment-là, dans un moment de confrontation de son désir et de la loi. Cela irait dans le sens de l’hypothèse et la force d’attraction de la séduction généralisée de Laplanche dans laquelle l’Œdipe s’inscrit et dans laquelle la cure navigue. La découverte de l’inconscient ne peut se poursuivre du fait de l’irruption de l’agir en place de remémoration, c’est un moment de répétition « élargie » voire d’acting-out de la part de l’analysant dans sa demande de séduction œdipienne, c’est un moment de répétition de la part de l’analyste qui ne peut dépasser un point aveugle de sa propre analyse autrement qu’en agissant le fantasme et prenant possession du corps du patient dans une « dérive pulsionnelle réalisée ». C’est un moment de fracture voire de destruction du travail analytique jusque-là accompli plongeant alors le patient dans une véritable confusion du manifeste et du latent, entrainant des moments de déréalisation avec des doutes concernant la perception de la réalité, des moments de dissociation pouvant évoluer jusqu’à une véritable décompensation psychotique. Cet agir plus déstructurant que les fantasmes, crée un véritable traumatisme dans l’analyse équivalent à un traumatisme infantile, c’est la thèse de Louise de Urtubey. Lorsque ce traumatisme réactive d’autres traumatismes infantiles plus anciens, voire des secrets transgénérationnels, l’analysant se trouve plongé dans un chaos psychique et une confusion plus grande, refermant ses possibilités de guérison. Les patients victimes ont d’ailleurs souvent des parcours antérieurs d’abus et de maltraitances. Dans la maltraitance il y a mésalliance dit Fabienne Sardas dans son article « Dommages en Héritage : comment s’en dégager ? », qui fait entrer la réalité de la haine dans la transmission familiale. « Transfert, alliance, mésalliance, faux nouage sont les mots de Freud pour spécifierdans la dynamique de la cure, l’irruption dans le présent d’un désir coupé de sa représentation dans le passé » 8. « Alliance » dérive du verbe allier, du latin alligare, ligare signifiant lier. La mésalliance dans la cure crée un faux, un mauvais lien, auquel Catherine Muller donne le nom de « faux-nouage ». Ces cas de passages à l’acte transgressifs sexuels font mésalliance dans la cure, laissant les contractants en position dissymétrique et faisant entrer la réalité de la haine dans la cure. Réalité de la haine, qui lorsqu’elle double la haine familiale de l’enfance, peut totalement faire perdre confiance et foi en l’autre et en la vie. Les travaux de Louise de Urtubey ont montré l’importance de la composante masochiste et dépressive chez ces patients. Et comme le disait Karl Abraham dans les abus sexuels chez l’enfant, le traumatisme va être vécu selon « l’intention de l’inconscient ». Le traumatisme sexuel fait partie des manifestations masochistes de la pulsion sexuelle. Cette dernière violence provoque un excès d’excitation qui déborde les capacités psychiques de défense, ce que l’on appelle en termes freudiens, une rupture du pare-excitation ; par irruption du réel sexuel, non représentable à ce moment-là,
8 Muller C, Freud et le transfert, Campagne Première, 2021, p. 32.
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comme chez l’enfant, lorsque l’analysant est en régression et a ré ouvert sa sexualité infantile. L’hypothèse de Ferenczi sur le traumatisme, concept qu’il a approfondi, est qu’il témoigne de l’inévitable d’une séduction liée à un « objet en trop », qui marque de son empreinte quantitative la constitution de l’objet interne.
La thèse que j’avance est celle d’inceste psychique, terme déjà avancé par J.-B. Pontalis dans un article sur la réaction thérapeutique négative, « Non, deux fois non ». L’inceste est l’acte le plus meurtrier qui soit puisqu’il interdit l’accès au symbolique en bloquant la construction de l’identité sexuelle et l’inscription dans une filiation générationnelle. Dans ces cas de transgression sexuelle incestueuse sur le divan, la parole plonge du côté du réel, effractant le sujet dans son psychisme et dans sa chair. Ce point de réel peut-être visé par l’autre qui l’entraine dans une revisite de la Jouissance incestueuse. La jouissance est ce qui se produit lorsqu’un désir se réalise, mais c’est aussi ce qui a été primitivement interdit sous la forme de l’inceste. Dès lors, son accès est problématique et sa rencontre peut être traumatique. Le régimede la cure se situe alors à la jonction du réel et de l’imaginaire, appuyé sur la fantasmatique alors agie du patient, en rejetant la fonction symbolique et symbolisante de l’écoute analytique.
Manier le transfert de la part de l’analyste, c’est régler sa pratique en canalisant la jouissance. Je rajouterai, plus de quinze ans après mes premiers travaux, qu’il s’agit d’un véritable attentat psychique, détournant de manière anarchique et dans une intrication pulsionnelle aux pulsions de destruction, les forces libidinales et érotiques du transfert de leur but éthique, la guérison. Le mot attentat vient du latin attentatus, porter la main sur, composé du préfixe ad (vers) et de temptare (toucher). Soit le sujet en analyse avait déjà obtenu une mutation de jouissance vers au moins la Jouissance phallique et ce passage à l’acte le replonge à nouveau en arrière, soit le sujet n’avait pas franchi ce premier temps mortifère de jouissance avec un risque d’enfermement définitif dans ce temps de Jouissance incestueuse avec les risques évidents de décompensation psychotique que cela suppose. Un de nos confrères avait publié un ouvrage il y a quelques années, sans signer de son nom, sur le parcours chaotique de sa compagne victime d’un attentat de ce type et qui avait conduit à son suicide, la mort comme seule issue de l’impasse. Roland Gori, dans son ouvrage Logique des passions, a décrit un certain nombre de passages à l’acte sexuels qui se manifestent en fin de cure, comme volonté d’ignorer et de se défaire de l’emprise captivante de l’Autre maternel, dans une résistance à la coupure nécessaire. La fonction de la passion dans la cure à ce moment-là fonctionne comme fétiche, les dégâts se situent là, dans le maintien d’un fonctionnement pervers comme sortie possible de la névrose. Gérard Pommier nous a montré dans son ouvrage, Que veut dire faire l’amour ?, à la suite de Freud, que la vie fantasmatique du sujet se déplie en une série de fantasme fondamentaux qui vont du fantasme de fustigation, décrit par Freud dans « Un enfant est battu », du fantasme de séduction au parricide, permettant de faire mourir psychiquement l’imago, la figure imaginaire paternelle, toute-puissante. Ce processus permettra d’aboutir à la prise du nom du sujet, c’est une condition d’existence subjective qui sépare du monde maternel de la pulsion. Le sujet selibère de l’emprise d’un Autre tout-puissant pour lequel il se construit primitivement comme phallus imaginaire. L’homme doit nier l’Etre phallique auquel l’assigne le désir de l’Autre pour entrer en possession de la pluralité des objets du monde humain. Que l’aliénation soit le premier temps d’articulation du sujet à l’Autre dans la construction subjective d’un sujet n’est plus à
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démontrer depuis l’apport de Lacan. Que cet Autre primordial fasse retour dans un moment de « ravage », sous forme de jouissance de l’Autre est communément ce que la clinique de certains moments de cure et des psychoses nous montre. Ravages pour lesquels la femme est plus facilement sujette du fait de la force d’attachement de son lien à sa mère, ce que Freud avait découvert avec étonnement, sous-jacent à l’attachement œdipien au père.
La question de l’éthique
Reprenant les termes de Thomas S. Szasz écrits dans les années soixante dans un article de l’International Journal of Psychoanalysis: « Le transfert est le pivot sur lequel la structure entière du traitement psychanalytique repose. »9, Lacan a promu le désir d’analyste comme pivot du transfert, le « corps pur » de l’analyse, dispositif essentiel au bon déroulement de la cure. La perversion se situe là, quand le désir d’analyste ne remplit plus sa fonction de faire barrière à la jouissance, créant une confusion. Perversion ou plutôt Verwerfung quand cette déroutante découverte de l’inconscient plonge les deux protagonistes dans la confusion du grand Autre et du petit a, bloquant l’opération analytique. Blocage par la réapparition dans le réel de ce qui est refusé dans l’ordre symbolique, la verwerfung, que ce soit chez l’analyste ou l’analysant qui y est ainsi entraîné. Ce type d’analyste transgresseur se fait « l’objet en trop » du patient dans une position érotomane chez les deux protagonistes. Maintenir une passion dans la cure comme fétiche est une volonté d’ignorer l’emprise captivante de l’Autre maternel. Passage qui se manifeste dans certaines fins de cures, remarque Roland Gori10 dans Logique des passions. Ce type d’analyste qui s’abaisse comme le disait Freud, « au-dessous » du niveau de l’analyse, attaque les ressorts du transfert et pervertit l’apport majeur de Lacan, l’apport du registre du grand Autre, du symbolique, dans la construction du sujet humain.
Thomas S. Szasz dit aussi dans ces années-là, que le concept de transfert contient en germes les éléments de sa propre destruction, mais aussi celui de la destruction de la psychanalyse. Ce risque n’est pas à négliger. Il nous dit aussi : « Ni la professionnalisation, ni l’élévation des standards, ni les analyses didactiques poussées jusqu’au forçage, ne peuvent nous protéger contre ce danger. »
La question reste ouverte. Je reprendrai les termes de Paul Denis, l’éthique c’est la méthode. La méthode de l’analyse, selon lui, c’est le cadre plus l’interprétation.
Il faut rester humble devant la méthode. Chaque analyste doit rester vigilant sur les effets de contre transfert. Winnicot sous estimait l’importance du père et de la sexualité, il n’a pas analysé l’homosexualité et le masochisme de Masud Khan et a entretenu une relation de séduction mutuelle. Wynne Godley en a fait les frais, séduit par son analyste. Une immensedestructivité est à l’œuvre dans tous ces cas de violations des limites et de transgression. La mise en jeu des pulsions de destructions mobilisées dans ce type de cure, dans la rencontre de deux désirs est extrême. Pulsion de mort, à entendre selon Lacan comme repère d’ordre dans la chaîne signifiante des deux protagonistes, dont l’intersection signifiante peut faire ravage. Il ne faut pas laisser de côté, dans cette complexe et déroutante découverte de l’inconscient, que le transfert, comme moment de fermeture, peut signer comment quelque chose du sujet, que
9 Lacan J, Le Séminaire, Livre XI, « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », p. 120. 10 Gori R., Logique des passions, Ed. Denoël, 2002.
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ce soit chez l’analyste ou l’analysant peut être « par derrière aimanté, aimanté à un degré profond de dissociation, de schize. »11. Sujet et réel sont à situer de part et d’autre dans la schize, dit Lacan, dans la résistance du fantasme12.
Ce qui peut protéger contre la transgression, c’est de ne pas rester analyste seul. L’échange entre confrères, dans le contrôle peut permettre de mettre au jour des points aveugles du contre transfert. Ce qui peut protéger, c’est la parole, mettre en place dans les différentes institutions des comités et des séminaires d’éthique. Inventer, toujours inventer, pour une psychanalyse en mouvement. L’exigence éthique nous pousse à l’inventivité scientifique et institutionnelle. Tache nécessaire, peut être d’autant plus et surtout à notre époque, pour lutter contre le puissant mouvement de perversion qui traverse la société.
Monique Lauret
Psychiatre, psychanalyste. Membre de la Société de Psychanalyse Freudienne (SPF) et de la Fondation Européenne de la psychanalyse.
11 Lacan J., Cf Ibid, p.122.
12 Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Le séminaire, livre XI, Paris, Seuil, 1973, séance du 26 février 1964, p. 84.
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